Jean-Michel ALBEROLA

Né en Algérie en 1953 – Vit en France

Jean-Michel Albérola investit le territoire de la peinture d’une dimension linguistique fondamentale dans l’ensemble de son œuvre : peindre équivaut à dire qui équivaut à faire qui équivaut à inventer. Depuis 1983, toutes ses productions sont signées indifféremment « Acteon pinxit » (Actéon l’a peint), « Acteon dixit » (Acteon l’a dit), « Acteon fecit » (Acteon l’a fait) ou « Acteon invenit » (Acteon l’a inventé) afin de montrer ces équivalences dans l’acte de création. En outre, l’omniprésence du nom d’Actéon remplace le nom d’Albérola et tient lieu de signature. Actéon, figure mythologique du voyeur, constitue pour Albérola la métaphore fondatrice de l’histoire de la peinture ; le peintre devient alors un voyeur du monde, victime à son tour du voyeurisme du spectateur de ses œuvres. Jean-Michel Albérola titre de nombreuses œuvres Suzanne et les vieillards, en référence à la peinture réalisée par Le Tintoret au XVIe siècle. Cette œuvre, par sa mise en scène, revisite le mythe d’Actéon (Suzanne au bain épiée par les vieillards) et sa présence dans les titres d’Albérola confirme de fait la prépondérance du regard voyeur dans son œuvre.

Suzanne et les vieillards : l’Exil (dédicace à Madame de Sévigné), peinte en 1984, ne déroge pas à ces principes. Elle est aussi, à l’instar d’un grand nombre de ses œuvres, une mise en exergue de son vécu personnel, de l’enfance passée en Afrique du Nord jusqu’au départ définitif pour la France, vécu comme un exil, comme un déracinement culturel.
La partie inférieure de l’œuvre montre une vue paysagiste méridionale. La partie supérieure quant à elle joue sur une ambigüité de lecture. C’est une table d’orientation inversée symbolisant les lumières culturelles du monde occidental. La couleur jaune, ruisselante, vient éclairer telle une révélation, le paysage nord-africain du dessous. La référence colonialiste est évidente et vient alimenter la part autobiographique de l’œuvre ; la grande et la petite histoire se mêlent et se scindent au milieu de la toile par une double ligne horizontale découvrant un no man’s land pictural, culturel et historique. Enfin, le texte tronqué figurant en bas de l’œuvre fait état des origines de la parole et de l’écriture considérées comme territoires de langage au même titre que la pensée et la peinture, réaffirmant ainsi l’étroite relation unissant le dit, l’écrit, le fait, le peint, et l’inventé (dixit, fecit, pinxit, invenit).

Jean-Charles Vergne