Elefthérios AMILITOS

Né en Grèce en 1962 - Vit en France

Ce qui caractérise d’abord la pratique artistique d’Elefthérios Amilitos, c’est la subtile maîtrise de l’extrême légèreté de la matière. Ayant choisi, depuis le début de sa carrière au milieu des années 80, d’explorer les données d’un art abstrait qui se réclamerait postérieur aux percées modernistes, il réalise des sculptures et des installations lumineuses qui en appellent à une sensualité toute post-moderne tout en puisant dans la gamme perceptuelle à la fois restreinte et intense d’un Robert Ryman ou d’une Agnès Martin. Le matériau de base qu’Amilitos a choisi pour ses sculptures ne serait pas renié par le plus puriste des artistes minimal ; il s’agit de la résine de polyester ondulée qui est débitée industriellement en plaques et sert la plupart du temps à améliorer l’étanchéité ou la capacité d’isolation d’un revêtement de bâtiment. Un matériau industriel non seulement neutre mais carrément « pauvre » dont l’artiste grec va dégager tout le potentiel poétique. Il empile donc ses plaques de polyester translucides selon des formes variables simples : cubes, sphères, carrés, rhomboïdes, ellipses, guirlandes… Les propriétés spécifiques de la résine opaque – luminescence mais également réflectivité – vont permettre une démultiplication des incidences physiques. Ainsi, les jeux de reflets vont parer ces objets aériens de tout le mystère d’une instabilité non pas vue mais pressentie. Les formes, suivant le déplacement du spectateur autour d’elle, vont se modifier, faisant éclater l’identité matérielle de la sculpture. Ce que l’on a devant soi est un objet sans référence, qui partage le même espace, qui ne propose aucune physionomie définie quand bien même sa constitution est claire, mais dont la variabilité imprévisible renvoie aux multiples arcanes phénoménologiques de la perception. Par ailleurs, ces objets capteurs de lumière vont porter leur ombre sur le mur. L’artiste s’attache tout particulièrement à la figure plus ou moins géométrique de cette ombre portée parce que la configuration en est plus définie, portant la contradiction à son comble. En d’autres termes, le dessin de l’ombre sur le mur, par définition illusoire, devient plus perceptible, donc plus réel, que l’objet lui-même. Amilitos cite volontiers, à propos de sa démarche, le célèbre mythe originel de la fille du potier de Corinthe esquissant le profil de son amant en partance, à partir de l’ombre portée du visage de celui-ci sur le mur.
Les trois sculptures Sans titre, datées de 1995-1996, exemplifient bien la démarche de l’artiste grec : trois formes stratifiées, l’une de nuance colorée plus jaune, de forme elliptique, suspendue au mur, les deux autres rondes, à la luminosité ivoire, posées au sol. Leur présence est amplifiée par le rayonnement délicat d’une identité matérielle si instable qu’elle en paraît fragile. Toutes trois, pareillement dématérialisées par les effets de stratifications, d’ondulations, de transparences et de reflets, ne font qu’effleurer leur support, le mur pour l’une et le sol pour les autres, comme si leur positionnement dans l’espace cubique n’était que le fruit du hasard ou d’une autre illusion, vite évanouie.

Ann Hindry