Carla AROCHA

Née au Venezuela en 1961 - Vit en Belgique

Carla Arocha procède d’un mixage permanent des genres, empruntant tout autant au design, à l’architecture ou à la mode pour réaliser des installations, des peintures et des dessins dont la sensibilité s’inscrit dans la lignée d’un héritage trouvant ses sources dans le minimalisme américain ou dans le pop art. Ses œuvres opèrent une prise en compte de leur espace de présentation, immergeant le spectateur dans de vastes environnements picturaux au sein desquels le Plexiglas teinté et les matériaux réfléchissants manufacturés côtoient des peintures minutieuses et des dessins aux motifs lilliputiens. Si le vocabulaire utilisé par Carla Arocha semble procéder par emprunts multiples aux syntaxes du constructivisme, du suprématisme, et des courants artistiques qui leur sont liés, du hard-edge à l’art optique, citant parfois allusivement certains artistes comme Piet Mondrian ou Barnett Newman, il ne s’agit pas de prolonger une réflexion formelle sur ce type d’abstraction mais plutôt d’utiliser un vocabulaire et ses extensions décoratives ou ornementales comme un alphabet à part entière, comme un langage qui, comme toutes les langues, possède ses tics, ses clichés, ses stéréotypes, ses expressions récurrentes. En l’occurrence, une certaine abstraction s’est longtemps débattue avec un vocabulaire primitif constitué de points, de cercles, de lignes, de grilles et de géométrie et c’est cette syntaxe des origines, mue par la volonté de désincarner les images, qui constitue indubitablement la boîte à outils de Carla Arocha.

Veil (« voile »), conçu en 2007 à l’occasion de son exposition personnelle au FRAC Auvergne, est un rideau monumental constitué d’un assemblage de plusieurs centaines de croix en Plexiglas gris argenté, semi réfléchissantes. Les croix, reliées par des crochets d’acier, laissent filtrer une partie de l’espace masqué par le voile. Le spectateur est ici confronté à une expérience du regard à dimensions multiples et voit partiellement ce qui se trouve derrière le voile en même temps que son propre reflet et que l’espace situé derrière lui, déstructuré par la fragmentation du reflet. Le rideau est un écran partiel qui ourle l’espace en même temps qu’il le voile, le replie légèrement sur lui-même. Face au rideau, le spectateur est à la fois présent et absent, l’espace est à la fois cohérent et brisé. Avec une référence explicite à la traversée du miroir effectuée par Alice dans le livre de Lewis Carroll, il est aussi question ici, de notre relation à la réalité, toujours troublée et modelée par la subjectivité de nos points de vue et, comme peuvent aussi l’indiquer métaphoriquement les croix, de nos croyances. Le Plexiglas semi réfléchissant de Veil opère un trouble spatial, une désertification, un mirage. Le rideau creuse, tranche, plie et déplie le lieu, reconstruit l’espace à partir de surfaces qui démultiplient le lieu et le trouent simultanément.

Jean-Charles Vergne