Jean BAUDRILLARD

Né en 1929 en France. Décédé en 2007

Le philosophe et sociologue Jean Baudrillard, décédé en 2007, aura sans doute été l’un des intellectuels les plus influents en France et aux États-Unis, l’un des plus inventifs, l’un des plus controversés aussi. Grand théoricien de la société de consommation, des médias, du réel et du virtuel, il fut un analyste éclairé des déflagrations majeures de notre époque. Ainsi, les événements du 11 septembre 2001 et l’effondrement des Twin Towers donnèrent lieu à la publication plusieurs textes et ouvrages1, consacrés à la dimension historique et politique de ce drame comme à sa portée symbolique. Son influence aura largement dépassé le cadre strictement réservé à la philosophie, comme en atteste l’impact majeur qu’ont eu ses théories sur l’écriture du film Matrix de Lana et Lilly Wachowski, par exemple. Il fut également l’un des grands contradicteurs de la création artistique contemporaine, fustigeant en 1996 la « nullité » d’une partie de l’art contemporain et déclenchant de fait une polémique retentissante. A partir de 1981, il entreprend une activité parallèle de photographe qui s’avère être complémentaire de ses écrits. Il ne s’agit pas pour lui d’illustrer ses concepts sur la réalité par des images mais d’accompagner celles-ci par un autre moyen que celui de l’écriture. Sa première exposition se tient à la Maison européenne de la Photographie en 2000 à Paris, avant que ses photographies ne soient montrées dans de prestigieuses manifestations internationales comme la Biennale de Venise en 1993 ou à la Documenta de Kassel en 2003. Assez méconnue de ses lecteurs, cette pratique photographique aura été une véritable passion pour le philosophe pendant vingt-cinq ans. Le FRAC Auvergne a fait l’acquisition en 2020 de sept photographies de Jean Baudrillard, paradoxalement absent des collections publiques françaises.

Les sept photographies acquises par la collection du FRAC Auvergne montrent la diversité des sujets abordés par le philosophe ainsi que l’importance accordée aux lieux qui, toujours, donnent leurs titres à ses œuvres. à l’image de ces deux photographies titrées Saint Clément II, il est souvent question pour lui de confronter son objectif photographique à la surface des choses : surface voilée d’une étendue d’eau, texture lépreuse d’un mur abîmé, reflets démultipliés dans une vitrine, voiles translucides… Ces deux images se constituent comme de véritables analogies avec la pensée de Jean Baudrillard sur l’opacité du réel, sur le passage d’un état de réalité à celui de pur simulacre. La surface de l’eau et ses ridules forment ici la frontière trouble séparant la ruine de sa disparition, l’accident de son oubli définitif, le produit de consommation de son naufrage et de son devenir-déchet. Le dédoublement du point de vue, le changement de parallaxe photographique, créent un doute sur le sujet lui-même et illustrent une forme d’impossibilité à saisir le réel.

Comme le note Éric Troncy, « il photographia sans relâche les moments de “surprise des apparences” (pour reprendre les termes employés par Françoise Gaillard dans les Cahiers de L’Herne consacré à Baudrillard) où la réalité semble plus artificielle encore que la fiction ou les images de synthèse. Un moment où une étendue d’eau semble rose. Le nœud sur le tronc d’un arbre à l’écorce naturellement bleue. Un feu de signalisation, dans l’espace urbain, qui se superpose à l’œil d’un personnage sur une affiche publicitaire Benetton. Une lampe sur le coin d’un bureau dans une lumière  qui fait ressembler la scène à une image de synthèse, plus vraie que nature… Ses images s’emploient à n’être pas documentaires, entendent imposer leur “langue originelle”, revendiquant une photographie “qui ne signifie rien, qui ne veut rien signifier, qui résiste à la violence de l’information, de la communication, de l’esthétique, et retrouve l’événement pur de l’image comme forme de résistance”.2 »

 

Jean-Charles Vergne

 

1- Notamment Power Inferno – Requiem pour les Twins Towers, Hypothèse sur le terrorisme, La Violence du mondial, éditions Galilée, 2002.

2- Éric Troncy, « Les prémonitions artistiques de Jean Baudrillard », Numéro Magazine n°14, sur www.numero.com.