Vincent BIOULES

Né en France en 1938 - Vit en France

Membre de Supports/Surfaces, l’un des derniers mouvements d’avant-garde en France dans les années 1960-1970, Bioulès, tout comme les autres membres du groupe qu’il quittera en 1972, envisage la peinture à la fois comme procès et process, procès de ce qui l’a constitué dans l’histoire que ce soit dans ces procédures matérielles comme dans les gestes qui permettent ces procédures matérielles – mais aussi comme vecteur d’une idéologie – et process dans le sens d’une série de méthodes permettant de faire.
Si, contrairement à d’autres artistes de ce mouvement, il préserve la toile montée sur châssis, il entreprend, comme d’autres, une recherche matérialiste sur/de la couleur : « Ainsi la couleur ne se montrerait plus en qualité de vêtement d’une forme, mais délivrée de son rôle de “doublure” […] {et} pourrait être découverte en tant que réalité indépendant1. » De la teinture aux différents modes d’application de la peinture en passant par les différentes techniques et médiums (acrylique, huile, laque glycéo… bien que l’acrylique devienne très vite le médium de prédilection), tous les modes sont utilisés et permettent l’exploration de la couleur en elle-même en tant que matière (mate, brillante, sèche, liquide, opaque, transparente…) comme des rapports colorés. Le creusement de l’espace pictural est nié au profit d’une surface-plan, affirmant fortement les rapports de symétrie tendant vers des non-compositions où la tonalité s’oppose brutalement à la surface apprêtée de la toile.
Si, dans un premier temps, l’expressivité et la sensualité sont mises à distance, l’exploration des potentiels de cette matérialité de la couleur amène dans le milieu des années 1970, l’émergence d’un certain nombre d’effets esthétiques et expressifs – sans que cela ne soit la finalité de l’artiste – ce dont témoigne Sans titre 1. Cette peinture est marquée par une richesse d’effets obtenue par l’application matérielle de la peinture. De la zone presque monochrome légèrement modulée sur la droite au geste appuyé – tout à la fois dépôt et raclage – au centre, en passant par le léger voile coloré sur le côté gauche et les quelques traces et taches du travail pictural sur les zones blanchâtres, la peinture, quoique sommaire dans sa composition révèle un contrepoint savant dans l’agencement de ses surfaces. Comme dans les peintures des années précédentes, c’est l’usage puis l’arrachage du scotch de masquage, permettant d’obtenir des surfaces géométriques régulières qui vient perturber les frontières entre surfaces peintes et non peintes. L’utilisation du scotch peut venir créer une mince fente entre deux zones colorées accentuant leur vibration dans leur presque contact. Le scotch mal appliqué peut permettre à la peinture de s’y infiltrer. L’arrachage peut venir décoller une partie de la surface picturale et faire vibrer les bords de celle-ci…
Cette révélation expressive se poursuivra pendant deux années jusqu’au retour de la figuration dans une filiation visiblement matissienne où le décoratif prend le pas sur le procès matérialiste – mais ce décoratif n’était-il pas latent dans les années Supports/Surfaces ? Les Idées heureuses de 1977-1983 en est l’illustration : omniprésence des motifs (carrelage, porte vitrée, toiles de Claude Viallat accrochées au mur, tapis…) et référents inconographiques (on pensera à La Leçon de piano ou au Violoniste à la fenêtre de Matisse), c’est, ici, autant un hommage qu’une relation hédoniste qui se dévoile, mais aussi nostalgie d’une peinture innocente, presque naïve et pourtant marquée par la mélancolie, celle d’un monde (un mode ?) pictural à jamais perdu.

Eric Suchère

1- Vincent Bioulès, VH 101, n° 5, printemps 1971, p. 99.