José-Manuel BROTO
Né en Espagne en 1949 – Vit en Espagne
Originaire de la province d’Aragon, installé au début des années 70 à Barcelone, José-Manuel Broto compte parmi cette génération d’artistes espagnols qui ont été fortement influencés par les théories de remise en question de la peinture développées dans le Sud de la France par le groupe Supports/Surfaces. Membre fondateur lui-même avec Grau et Rubio d’une revue intitulée Trama, vecteur de réflexion collective jusqu’en 1976, Broto n’a jamais abandonné pour autant la pratique de la peinture. Au contraire l’envisage-t-il comme un objet pérenne d’analyse et de création. Au fil du temps, l’espèce de distanciation critique et formelle qui caractérisait ses tableaux a fait progressivement place à l’élaboration d’une dialectique entre figure et matière-couleur. De cette manière, Broto visait somme toute à affirmer son appartenance à une tradition nationale, qui de Miro à Tapies, s’est toujours inquiétée des possibilités de la peinture à ouvrir de nouvelles portes afin de multiplier sans cesse nos angles de vision. Abstraites, les peintures de Broto de la fin des années 1980 en appellent à quelque chose d’un dynamisme et d’une gestualité livrant « le sujet au tohu-bohu des formes » et se faisant l’écho de paysages intérieurs, de vrais « paysages de l’âme », comme il a été écrit. Il était alors question d’éprouver la peinture dans tous ses états, dans toutes ses capacités d’existence, au regard de cette relation quasi existentielle que le peintre entretient inéluctablement avec elle.
A considérer les toiles de Broto qui adviennent par la suite, telle que cette série des Echos, datée 1995, on mesure aisément la considérable transmutation que sa peinture a connue. Il n’est plus question d’effluves mais d’incandescences, de tournoiements, d’envolées et de rumeurs profondes. Il n’est plus question de rejeter le regard en surface mais au contraire de l’entraîner à l’expérience de l’abîme, voire d’un abysse. De le précipiter au cœur révélé d’un immense trou noir. Une œuvre comme Les Echos VI dit en effet à quelle excursion insensée Broto nous invite. Là même où la matière sourd, où la lumière est séparée des ténèbres, où la vie est à son origine. Dans une peinture de cette nature, il y va d’un instant du monde en son avènement. « L’art rend visible » proclamait Paul Klee. Plus que jamais, l’artiste se confond ici à l’alchimiste et la peinture se fait le creuset des plus imprévisibles métamorphoses. Le titre de l’œuvre, tout comme le format carré, sanctionne ce qu’il en est de cette idée d’un espace ouvert sur lui-même, à « perte » de vue, strictement contenu sur ses bordures, et qui relève d’une aventure proprement spéléologique de la peinture. Comme une allégorie de la caverne chère à Platon.
Philippe Piguet