Miriam CAHN
Née en Suisse en 1949 - Vit en Suisse
Venue tardivement à la peinture en 1994, après plusieurs décennies consacrées au dessin, Miriam Cahn a développé une œuvre dont l’héritage est à chercher tant du côté d’Edvard Munch ou de Francis Bacon que de celui de Sonia Delaunay. Son œuvre, marquée par de fortes préoccupations féministes, procède beaucoup d’un regard porté vers l’Histoire et, plus précisément, d’une volonté de mettre en confrontation la fragilité de l’individu face aux événements historiques les plus puissants et les plus traumatisants. De ce point de vue, Miriam Cahn est incontestablement à envisager au sein d’une famille d’artistes femmes parmi lesquelles Nancy Spero (présente dans la collection du FRAC Auvergne) occupe une place prépondérante. Les silhouettes désarticulées de ses personnages souvent réduits à de simples figurines sont représentées comme noyées dans de vastes environnements chromatiques dont elles semblent vouloir s’extirper tant bien que mal, agitant leurs bras faméliques, tentant de conserver une station verticale rendue précaire par le poids écrasant de ces géographies traversées par l’angoisse. Encore debout ou gisant entre le sommeil et la mort, ses personnages fantomatiques errent au milieu de formes menaçantes. Dans la peinture Ereignis («événement»), deux formes humaines reposent sur le bord du tableau, comme posées sur une frontière qui sépare l’espace pictural de notre espace réel. En ceci, la composition entretient une analogie avec l’Annonciation de Francesco del Cossa (1470) et son escargot peint sur le bord inférieur de l’œuvre afin de signifier le passage d’un espace illusionniste à celui du spectateur, manière d’affirmer le caractère artificiel et illusoire de toute peinture. Dans la peinture de Miriam Cahn, la disposition limitrophe des personnages est sans doute une façon d’affirmer la place ambivalente de tout individu lorsqu’il se trouve aspiré par l’événement d’Histoire, vacillant de sa position de simple spectateur vers celle de protagoniste inéluctablement touché par la déflagration des faits. Dans Ereignis, un personnage se tient debout, forme humaine schématique dont ne subsistent que les parties strictement nécessaires : deux jambes, un corps, une tête occupée par la béance d’une bouche grande ouverte, un seul bras dont le geste ambigu semble vouloir protéger un second corps allongé tout en le maintenant fermement au sol comme pour l’écraser avec cette main dont les doigts deviennent de véritables serres. Ce second corps, disloqué, désarticulé, est lui-même ambivalent car l’on sent qu’il entretient simultanément une relation de familiarité possible avec le premier tout en étant victime d’un geste oppressif violent. Les deux personnages se tiennent au milieu d’un paysage chromatique abstrait structuré par les formes géométriques en repentirs de ce qui pouvait peut-être être une ville, zébrée par les raids menaçants de quelque défense antiaérienne.
Jean-Charles Vergne