Johan CRETEN
Né en Belgique en 1963 – Vit aux Etats-Unis
Johan Creten a choisi d’utiliser dans son travail des matériaux généralement répudiés pour leurs connotations modernistes, voire décoratives pour certains. Terre cuite émaillée et grès sont en effet ses matières de prédilection pour la réalisation de sculptures polychromes dont les sujets varient de la résurgence mythologique antique à la réalisation de cruches, d’animaux et d’un certain nombre d’objets que l’on serait tenté d’assimiler à l’artisanat de la poterie. Il y a ici une prise de risque certaine, on s’en doute, et Johan Creten aime à se placer sur une limite parfois ténue où l’art peut basculer dans le kitsch décoratif et inversement. Il en va dans l’œuvre de Johan Creten d’une transfiguration douce de l’objet en œuvre d’art, de l’utilitaire en pièce possédant intentionnalité et contenu. Si les mythes sont souvent utilisés, revisités, c’est toujours dans l’affirmation de leurs répercussions contemporaines, de leurs prolongements et de leur activité encore pérenne. Il va de soi pour lui que la réalisation d’une représentation du cheval de Troie, de la Gorgone ou d’Adam implique forcément la prise en compte aigüe du cliché stéréotypé et de son nécessaire détournement. Il va aussi de soi pour Johan Creten que la surabondance matériologique amenée par l’excès formaliste et le clinquant de certaines couleurs doive conduire à une démultiplication des efforts pour produire du sens, pour que le sens vienne se loger dans le mince interstice laissé entre le décoratif et l’utilitaire.
Nur ein Fisch est un ensemble de quatre sculptures appartenant au bestiaire que Johan Creten réalise au fil des années. Aux côtés des Coqs, de La Vengeance de la Gorgone ou des Inséparables, les quatre poissons hybrides occupent une place de choix, mêlant pertinemment réminiscences mythologiques, littéraires, sociologiques. Car, en effet, si l’on peut envisager ces poissons à tête de mort recouverts d’une peinture couleur de mercure à une réflexion sur l’environnement et l’écologie, Nur ein Fisch qui, comme leur nom ne l’indique pas ne sont pas « seulement » des poissons, nous renvoie aux répercussions contemporaines de la mythologie grecque. La forme hybride, oscillant entre poisson et humain et entre organisme vivant et « mort-vivant », propose une référence implicite aux Erinyes de l’Orestie d’Eschyle. Elles renvoient aussi à la relecture existentialiste proposée par Jean-Paul Sartre dans Les Mouches et, de fait, l’œuvre de Johan Creten se pose en intermédiaire entre les deux représentations, prenant à partie le spectateur toisé par les orbites vides des poissons. Johan Creten parvient en définitive à faire osciller Nur ein Fisch entre un univers transcendant et une perception immanente, interrogeant du coup le spectateur de l’œuvre sur lui-même, sur sa propre culpabilité d’être là.
Jean-Charles Vergne