Raphaël DALLAPORTA

Né en France en 1980 - Vit en France

Les photographies de la série Antipersonnel ont révélé le travail de Raphaël Dallaporta en 2004, dont les origines remontent à 1997 lorsque l’artiste rencontre en Bosnie des équipes de démineurs et qu’il commence à réfléchir aux moyens d’aborder le sujet des ravages causés par les mines antipersonnel. La même année, la communauté internationale adopte le Traité d’Ottawa, ratifié par 89 états, afin de proscrire définitivement l’utilisation de ces engins qui continuent à mutiler et tuer les civils bien après la fin des conflits armés. Le traitement d’un tel sujet par la photographie n’est pas chose simple et n’offre que peu d’alternatives en dehors de la démarche d’un photoreporter qui se confronterait immédiatement au risque de conférer à l’horreur une dimension spectaculaire. Du point de vue de leur sujet, les cinq photographies de mines auraient pu figurer dans la première partie de ce projet, aux côtés de celles de Yuri Kozyrev ou de Sophie Ristelhueber. Mais Raphaël Dallaporta n’est pas reporter et son processus de travail ne consiste pas à aller photographier, sur le terrain, les conséquences d’une guerre. Par ailleurs, même si la série Antipersonnel engage un regard critique sur ce contexte précis, elle utilise pour le faire un processus d’enregistrement qui s’inscrit dans l’héritage détourné d’une photographie objectiviste. Les photographies qui constituent la série, dont cinq sont présentes dans les collections du CNAP, ont été réalisées avec le soutien du Département d’Expertise et de Formation au Déminage de l’école du génie d’Angers. Ce centre de formation militaire unique en France possède en effet une collection des principales mines utilisées de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. Raphaël Dallaporta en a choisi soixante-dix, en fonction des technologies qu’elles utilisent, de leur pouvoir de destruction, de leur indétectabilité, etc., afin de dresser un inventaire qui, bien que non exhaustif, regroupe les principales caractéristiques de ces armes fabriquées par millions. Les mines ont été photographiées à la chambre, sur fond noir, à l’échelle un, comme des objets précieux à la fois fascinants et morbides, mis à leur avantage comme autant de produits de luxe. Présentés de la sorte, ils se donnent à voir en dehors de leur contexte, dans une dimension technologique étrange de laquelle émane une esthétique insoupçonnée qui est celle, si ambiguë, de toutes les images de désastres et d’engins de destruction. Chaque photographie est accompagnée d’une légende qui, bien plus qu’un titre, se constitue en notice de présentation de la bombe, indiquant son origine, ses caractéristiques meurtrières, son mode de propagation, son poids, ses dimensions et, parfois, une anecdote liée à ses spécificités : « Le nombre des utilisations possibles de la Claymore n’est limité que par l’imagination de l’utilisateur. », « De fabrication artisanale, elle contient suffisamment d’explosifs et de débris pour arracher une jambe en explosant. », etc.
De la destruction, Raphaël Dallaporta ne montre que la cause, en choisissant des objets d’autant plus intrigants que leur fonction première est d’être invisibles dans la réalité. Il laisse les conséquences se développer sous forme d’images mentales dans l’esprit du spectateur. « En les photographiant de la même manière qu’un autre l’aurait fait pour une publicité de shampooing, Dallaporta glorifie ces engins tout en conservant un angle totalement neutre. Le tour est si subtil qu’il est pour ainsi dire imperceptible1. »

Jean-Charles Vergne

1- Martin Parr, Raphaël Dallaporta, Antipersonnel, Musée de l’Elysée, éditions Xavier Barral, 2010, p.5.