Armelle DE SAINTE MARIE

Née en 1968 en France. Vit à Marseille, France.

Depuis 2009, Armelle de Sainte Marie poursuit trois séries picturales. Odyssée (la première et la plus importante en nombre d’œuvres), Traverses (depuis 2011) et Vanités hybrides (depuis 2016). Chacune de ces séries se déploie dans une approche spécifique de la peinture, dans des voies suffisamment distinctes et, sans doute, en partie complémentaires bien qu’elles puissent apparaître comme antinomiques.

Odyssée est d’abord, pour l’artiste, liée à la couleur, et ce titre renvoie à « une aventure nouvelle avec la couleur dans l’historique de mon travail ». A l’inverse des œuvres précédentes plutôt économes dans leur registre […], cette série, dès Odyssée 1, frappe, ainsi, par son coloris […]. Cette irruption de la couleur est liée, pour l’artiste, à un « besoin viscéral, sensuel, de couleur1. » Ce besoin viscéral, cette nécessité intérieure – pour reprendre l’expression de Kandinsky – n’éclairera pas beaucoup le regardeur et lecteur si on la considère simplement sous l’angle du biographique – et, dans ce cas précis, d’un changement d’atelier, mais elle fait sens si on la prend d’une manière plus large. L’on se souvient de la fameuse expression de Léonard de Vinci : « La peinture est une chose mentale. » Oui, la peinture est une chose mentale et, également, une chose corporelle. On songera au fard, au maquillage et, tant la couleur que la surface ou la matière font appel au gustatif – il y a tout un vocabulaire de la peinture qui évoque cela de la « cuisine » à la « croûte ». Comme l’affirme l’artiste : « Il y a un côté vaguement écœurant qui peut mettre mal à l’aise. Face à cette débauche-là, à cette séduction acidulée, il peut y avoir un rejet! […] Il y a une tendance de ma part à rattacher l’impression picturale au domaine de l’appétit, de la chair, domaine un peu trouble quand même parce que pour moi la couleur n’est pas uniquement quelque chose de gai et de sucré2. » Pas uniquement de l’ordre de la séduction. Pas uniquement de l’ordre de l’intime – une inclination vers telle ou telle tonalité. […]

Masses fangeuses, cotonneuses, filaments et torsades, agrégats en déliquescence, lanières pourrissantes, entremêlement des strates, indissociation des surfaces…les œuvres sont autant somptueuses qu’inquiétantes dans l’indécision volontaire entre la forme et l’informe, entre ce qui pourrait commencer à être mais qui ne se concrétise jamais, entre la matière et l’image, l’une ne gagnant jamais sur l’autre. Ces peintures naviguent de la séduction à la répulsion même si celle-ci est luxueuse – l’une et l’autre étant évidemment liées. Elles tentent de former mais subvertissent la possibilité de la forme dans un déchaînement des surfaces et ce déchaînement pousse au paroxysme ce qui était en jeu dans les premières œuvres de la série à savoir une dialectique entre le désir de l’image, le début d’une naissance, et sa décomposition. Il ne s’agit pas tant de faire apparaître que de supposer la latence de la figure dans son contraire. Les différents états de la matière picturale sont, en cela, les symptômes de ce qui pourrait apparaître, mais n’adviendra jamais réellement.

 

Eric Suchère (Extrait du texte paru dans le livre Armelle de Sainte Marie, Odyssées hybrides, Opening Book, 2020).

 

1 et 2- Armelle de Sainte Marie, Etats de matière, Cahier n°65, janvier-mars 2017, Artothèque Antonin Artaud, Marseille, 2017, n.p.