Alix DELMAS

Née en France en 1962 – Vit en France

« J’ai débuté la série photographique intitulée Fingers en 1998. La série confronte des éléments du corps (mains et doigts) avec l’eau, considérée comme surface à la fois solide et pénétrable, réfléchissante et opaque. La série aborde des thèmes comme l’attraction, le gouffre, la surface, la noyade, la saisie, l’entre-deux eaux, la temporalité, l’éblouissement… »
Ces mots d’Alix Delmas sont représentatifs de l’ensemble des travaux menés depuis des années. Non pas que toutes ses œuvres fassent appel de manière récurrente aux mêmes préoccupations mais il y a incontestablement dans ces lignes l’affirmation d’une intonation générale, d’une sensibilité particulière où se mêlent une douceur, une sensualité, une manière d’affleurer, d’aborder le basculement artistique du monde par la tangente ou plutôt par l’asymptote, cette courbe qui ne cesse de tendre vers son réceptacle sans jamais l’érafler. Qu’il s’agisse de ses dessins, au trait malhabile en apparence, ou de ses instantanés capturant de petites portions incongrues de temps et d’espaces (le terme « instantané » ici convient bien mieux que celui de photographie tant ses images semblent être fondées sur la spontanéité, avec la part de déceptivité que cela peut impliquer), Alix Delmas ne travaille pas selon un processus décidé de manière immuable et multiplie les expérimentations en fonction des nécessités imposées par le propos.
Le résultat se situe assez régulièrement sur une limite ténue, à l’instar de Fingers dont on imagine aisément qu’elle puisse revenir d’un laboratoire de développement grand public estampillée d’un autocollant portant la mention « non facturé ». Il s’agit d’une photographie du peu pouvant être comprise comme une photographie ratée alors qu’il faudrait davantage employer ici le verbe échouer que celui de rater – échouer dans le sens de faire naufrage, naufrage de l’image qui, in extremis, parvient à ne pas sombrer. Les photographies parviennent à unir remarquablement ce qu’elles sont et ce qu’elles disent. Des mains pendantes, dévitalisées, semblant retenir une eau lourde à la viscosité étrange, quelques algues arrachées lors de la remontée à la surface ou en agrippant le sable pour ne pas sombrer à nouveau… Mais, en arrière-plan, un paysage sans qualité, quelques bateaux, une mer basse, un ciel sans teinte et sans texture stoppent toute poussée romantique. C’est dans un entre-deux que nous plonge cette image, entre échec et poésie, entre immersion et émergence, sans jamais rien affirmer, sans jamais aborder aucun rivage – ni celui du symbole, ni celui d’une signification particulière, ni celui d’une sensation précise –, toujours en conservant une trajectoire asymptotique qui jamais ne touchera son but puisqu’en définitive elle n’en possède pas de tangible et que son propos est – justement – de préserver l’espace entre-deux.

Jean-Charles Vergne