François DUFRÊNE

Né en France en 1930 – Décédé en 1982

La poésie le passionne très jeune. A seize ans, il adhère au mouvement lettriste qu’il quittera sept ans plus tard en désaccord avec ses orientations. Il est signataire en 1960 de la déclaration constitutive du Nouveau Réalisme. Dès ses premières œuvres sur dessous d’affiches, il retrouve les procédés de transformation et de lacération qu’il appliquait aux mots et aux sons dans ses recherches phonétiques antérieures. Dufrêne n’a d’ailleurs pas abandonné ses activités poétiques, et ses œuvres, comme le Mot Nu Mental (1964), constitué de lettres géantes découpées dans des envers d’affiches ou les planches manuscrites de la Cantate des mots camés, mêlent souvent avec ironie ou dérision, l’obsession du langage à la démarche plastique.
Malgré leurs points communs, il manifeste rapidement sa particularité face à Hains ou Villeglé. Contrairement à Hains, ses œuvres n’existaient pas avant lui ; soumettant le support brut à la subjectivité de sa sensibilité, il intervient toujours activement dans la transformation plastique et la composition de l’affiche, « par décollage et grattage successifs à un, deux, trois ou quatre étages ; c’est le matériau qui m’force (…) ».

La démarche de Dufrêne procède pour beaucoup de préoccupations d’ordre pictural, et il s’intéresse autant aux possibilité chromatiques des envers d’affiches qu’à leurs vestiges de contenu réaliste, images, lettres ou signes. Les tons pastels, les couleurs souvent douces et diffuses, rompent avec celles des œuvres des autres affichistes, plus violentes, crues et « réalistes », pour se rapprocher d’une tradition qu’on pourrait situer dans la succession de Cézanne et Bonnard. L’attitude de Dufrêne se rapproche en s’en distinguant à rebours, de la poésie d’accumulation de Schwitters. Intervenant en décollant et en grattant sur les affiches, il révèle un sens oublié ou ignoré, constitué au cours du temps par les couches successives. Il y a de l’archéologue chez Dufrêne, comme il y a de l’historien chez Hains ou Villeglé. Mais une autre dimension s’ajoute aux qualités picturales de ses œuvres : avant l’appropriation de l’affiche avait eu lieu la découverte (couvrir, dé-couvrir, découvrir) ; dans cette perspective, le choix de l’envers des affiches semble renvoyer à une dimension personnelle, intime et presque lyrique de l’expression de Dufrêne. Son geste semble recéler la nostalgie secrète d’un « autre monde », caché à chacun mais révélé à celui qui est allé le chercher en passant de « l’autre côté du miroir » ; puisque telle est l’apparence – comme vu dans un miroir – de l’envers des affiches.

Outre les qualités plastiques qui lui sont propres et qui la situent dans la parenté d’une peinture tachiste ou informelle, cette œuvre fait appel à d’autres éléments propres à la démarche de Dufrêne.
Il convient de remarquer la façon dont le titre procède du principe de l’association d’idées, caractéristique de la poésie automatique depuis le Surréalisme. Seul élément ajouté de l’œuvre, le titre fonctionne traditionnellement comme une clef de lecture du tableau, mais son esprit dérisoire détourne en semblant s’en défendre ce rôle, ainsi peut-être qu’une certaine nostalgie. Mais l’interdépendance dans l’œuvre du « DAVID-DAVID » qui en constitue l’élément primordial et du « Et Goliath ! » que ce dernier impose comme titre, doit peut-être suggérer un axe supplémentaire de signification. Datée de 1972, Et Goliath ! est réalisée en France au cœur d’une époque économiquement faste. Le geste artistique de Dufrêne – qui décolle et gratte, soustrait, « décumule » pourrait-on dire si le mot existait – va à contre-courant de la société de consommation qui accumule inutilement. En s’appropriant les affiches publicitaires dépourvues de sens par leur accumulation, Dufrêne-David contre Goliath retrouve son sens.