Maurice ESTÈVE

Né en France en 1904 - Décédé en 2001

Si le parcours de Maurice Estève commence dès 1915, sous l’influence – successivement – de Cézanne, du cubisme, de Fernand Léger, du surréalisme, de l’expressionnisme, de Robert et Sonia Delaunay, c’est à partir des années 1940 qu’il trouve sa voie et qu’il commence à exposer avec les peintres de la seconde École de Paris (Jean Bazaine, Charles Lapicque, Jean Le Moal, Alfred Manessier, Gustave Singier…), seconde École de Paris qui revendique tout autant la peinture de Cézanne, de Matisse, du cubisme mais aussi celle de Bonnard et se réclame de la « tradition française1 » dans ce qui va devenir progressivement une abstraction fortement décorative. Déconsidérée dès le début des années 1960 avec l’avènement de la peinture expressionniste abstraite américaine, celle du Nouveau Réalisme et du Pop art, les peintres de l’École de Paris restèrent jusqu’au bout fidèles à leur esthétique et certains bénéficieront d’un regain d’intérêt à la fin des années 1980 et au début des années 1990 (rétrospective d’Estève au Grand Palais en 1986, de Jean Bazaine en 1990, d’Alfred Manessier en 1992… ou commande d’une décoration à Bazaine pour la station de RER de Cluny La Sorbonne en 1988).

La peinture d’Estève se caractérise par des formes mi-organiques mi-géométriques enchevêtrées dans une surface refusant toute illusion de profondeur et jouant de tons saturés très fortement modulés. Ce sont sans aucun doute ces constantes et cette permanence qui ont amené à penser qu’il n’y avait, chez Estève, qu’une formule répétitive. De même l’utilisation de certaines couleurs chaudes et des contrastes tons chauds/tons froids a pu sembler comme une recette décorative un peu trop suave et doucereuse. Mais est-ce cette peinture que l’on doit mettre en cause ou les critères esthétiques qui régissent la pensée moderne, avant-gardiste et moderniste : innovation, refus du décoratif, de la séduction…? Et peut-on véritablement nier qu’il y a des réussites – voire des audaces formelles –, dans la manière qu’a Estève de déséquilibrer ses compositions par des jeux de diagonales opposées tout comme dans son refus d’un espace creusé jouant du push and pull2 et n’a-t-il pas réussi à imposer sa peinture comme une signature formelle imperméable à tout discours théorique mais reconnaissable entre mille.

On retrouve tous ces éléments dans l’aquarelle du FRAC Auvergne que ce soit par la croix désaxée qui forme la structure de la composition, par la manière dont le rond jaune vient se poser sur la surface en réserve blanche faisant écho à celle qui se trouve en bas à droite ou bien dans l’opposition entre les surfaces dilatées à gauche de l’œuvre et celles compressées qui se trouvent à droite. Aussi, bien que discrète, cette peinture réussit à résumer ce qui constitue l’essence de l’œuvre d’Estève et nous permet d’avoir un point de comparaison avec d’autres artistes de la collection – on pensera à l’exacte contrepoint fourni par la peinture de Shirley Jaffe ou à la fausse analogie pouvant exister avec la peinture de Gilgian Gelzer.

Éric Suchère

1- Vingt jeunes peintres de tradition française est le titre de l’exposition qui a lieu à Paris à la galerie Braun, pendant l’Occupation et qui marque la naissance de cette école.

2- Le push and pull permet grâce à la saturation colorée de jouer sur le sentiment qu’une couleur avance par rapport à une autre et de contredire cet effet dans la ou les surfaces qui se trouvent à proximité.