Michel FOURQUET

Né en France en 1954 - Décédé en 2014

Pendant longtemps Michel Fourquet était peintre, dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire qu’il utilisait des pigments et du liant sur de la toile ou du papier. Puis, à partir de la fin des années 1990, il n’utilise plus de peinture, ce qui n’empêche pas à son travail de revendiquer cette qualité. Son sujet de prédilection a toujours été le corps, perçu comme signe dans un espace social. Jusqu’en 1996, il peignait des passants, représentés en plongée, vus de haut, se croisant, se rencontrant ou ne se rencontrant pas dans l’espace parfois très réduit de la ville. Puis la figure s’est abstractisée, rendue à l’état d’empreinte réalisée à l’encre, dont l’héritage formel tenait à la fois d’Yves Klein et de Jean Degottex. Depuis 1998, si la technique a radicalement changé, la représentation du corps est toujours omniprésente. On le sait, peindre le corps est une chose très délicate, une véritable gageure en regard des expériences désormais historiques proposées par les peintres, les photographes, les vidéastes et portées à leur paroxysme par la performance et le body-art dans une expression terminale et définitive du corps. Dès lors, la question est de tester la possibilité d’une représentation du corps qui ne soit ni redondante ni ne verse dans une implacable littéralité. La question est aussi de mesurer la validité de cette représentation envisagée comme affirmation picturale et insignifiante. A ce titre, Michel Fourquet prend le parti de ne pas « exposer » ce corps sémantiquement saturé, historiquement ultra référencé. Son travail trouve sa valeur en ceci qu’il met en place une approche simultanément sous-exposée et surexposée du corps, comme cela se vérifie sur l’œuvre Sans titre (1998).
La sous-exposition, tout d’abord, est immédiatement annoncée par la volonté première de dissimulation du corps. Photographié, emballé dans un film de polyane transparent, Michel Fourquet rend suspecte l’apparition de l’autoportrait en annulant partiellement sa propre image par une mise en retrait sous une feuille de papier. L’image n’apparaît plus que par translucidité grâce à la translucidité initiée par une tache d’huile de paraffine appliquée sur le papier, autour de la photographie. Cette mise en retrait du sujet, amenant de fait une confusion entre le fond et la forme, l’image et son support, confère au support papier le rôle de subjectile perverti, mis en avant, au détriment du sujet qui semble devoir se dissoudre dans l’évanescente translucidité du papier paraffiné.
Par ailleurs, cette sous-exposition affirmée se manifeste par la difficulté imposée par l’œuvre qui, on pourrait le croire, ne se donne plus à voir dans une quelconque immédiateté. Parfois, les œuvres sont d’ailleurs froissées, réduites à l’état de boule comme le serait le brouillon d’un écrit non abouti, refusé par son auteur. Le corps y apparaît par bribes, par fragments, puis semble s’échapper en lui-même dans les anfractuosités du papier.
La surexposition, quant à elle, se caractérise, à l’instar du quadriptyque Sans titre de 1998, par une redondance volontaire du corps livré au regard dans des poses académiques, et par une suraccumulation d’autoportraits. Les œuvres fonctionnent donc par trop plein (à l’instar de l’atelier de Michel Fourquet dont les murs étaient couverts d’œuvres du sol au plafond), par prolifération. L’autoportrait, véritable scansion picturale, s’annule lui-même par la répétition et par là même, tend à s’universaliser puis à disparaître progressivement dans la masse écrasante du papier vide. Ce mouvement est flagrant dans Sans titre (1998) : le corps s’anime, s’affirme comme présence, attire à lui la référence historique (au Saint-Suaire notamment) pour exister davantage, pour exister « plus », puis s’absorbe et disparaît, se réduisant à l’état de simple signe ectoplasmique. Depuis quelques années, les corps se sont effacés de ce polyptyque, progressivement occultés par l’opacification progressive et irréversible de l’huile de paraffine, qui de révélateur est devenue tombeau.

Jean-Charles Vergne