Pia FRIES

Née en Suisse en 1955 - Vit en Allemagne

L’œuvre de Pia Fries acquise par le FRAC Auvergne permet de compléter un ensemble d’œuvres provenant d’artistes de divers pays que l’on pourrait classer sous le terme d’abstraction syntaxique. Il s’agirait d’une peinture qui viserait à la « reconduction des effets technico-stylistiques culturels – effets qui définissent également la peinture comme genre1». Esthétique que l’on retrouve aussi bien chez l’artiste Suisse Pia Fries, que chez les américains David Reed, Fabian Marcaccio ou Jonathan Lasker, qu’en France chez Rémy Hysbergue ou en Allemagne avec Albert Oehlen.
En cela, cette peinture vise à l’utilisation d’une profusion d’effets : empâtements et jus, coups de brosses énergiques et éléments de décoration presque ténus, effets informels et aplats… comme s’il s’agissait de faire l’inventaire de tous les moyens dont dispose la peinture.
Si cette œuvre dirige la perception sur ce qui constitue matériellement la peinture, elle ne vise cependant pas à peindre en vidant la peinture de tout autre contenu que sa matérialité car les moyens ne sont pas que des moyens, ils drainent avec eux une histoire, une esthétique, une psychologie… Chaque geste, chaque intervention, est connoté. Chacun renvoie donc à une esthétique qui peut soit évoquer un artiste : ici, tout autant Gerhard Richter que Robert Ryman, qu’un courant de l’histoire de l’art – l’expressionnisme abstrait aussi bien que l’art informel – ou des notions plus générales que l’on oppose traditionnellement – expressif contre décoratif. En cela, Pia Fries est-elle profondément post-moderne, pratiquant un art de la citation, un art du désenchantement, de mise en doute de la valeur fondamentalement éthique que la modernité a accordé à l’exercice pictural.
On pourrait aussi considérer que ce qui est mis en cause est la relation que l’on établit, généralement, entre style et sujet et que ce qui est mis en avant est le fonctionnement uniquement langagier de la peinture. En cela Pia Fries est l’héritière aussi bien de la déconstruction que de la notion connexe d’intertextualité.
L’idée, l’intention, la vérité, le sens… seraient des illusions. Le langage n’est pas transparent, il est porteur de sédiments. La voix n’est jamais première, elle suppose un « toujours déjà ». Chaque peinture est le produit de la peinture et ne produit jamais que de la peinture, une peinture déjà faite, conditionnée par son histoire, tissu de citations révolues. Pia Fries au lieu d’être assujettie par ce « toujours déjà » en fait le centre de sa pratique, le manifeste avec emphase et peut, du coup, en constituer le procès. Comme le suggère Roland Barthes, elle permute des lambeaux de textes qui existaient ou existent autour ou dans le texte, elle « désédimente », défait et décompose à la surface de la toile ce qui est sédimenté, construit et composé dans les langages picturaux qu’elle utilise.

Eric Suchère

1- Tristan Trémeau : « Tableaux, la peinture n’est pas un genre », catalogue de l’exposition Musée des Jacobins, Morlaix, 1999, p. 10.