Gérard GASIOROWSKI
Né en France en 1930 - Décédé en 1986
Après une première tentative entre 1951 et 1953, Gérard Gasiorowski s’arrête de peindre pendant neuf ans. De 1964 à 1970, il exécute une série de toiles hyperréalistes en noir et blanc. Ces toiles qu’il a par la suite violemment rejetées, constituent pour lui une « approche » de la peinture. Il la neutralise en effaçant le style et la touche. La reproduction est aussi mécanique que possible. C’est le choix de l’iconographie qui permet de faire dérailler la mécanique technique bien huilée. Avec les séries suivantes (La Fuite du côté de Barbizon en 1970-71, les Croûtes entre 1970 et 1974, les Fatalités en 1972, les Albertine disparue en 1971-72, les Impuissances en 1972 puis les Aires en 1973), il précipite sa peinture vers l’échec artistique et commercial. Dans la série des Fleurs (1973-82), le thème de la nature morte est éreinté, usé par sa répétition. Enfin, des Amalgames (1972-82) récapitulent tous les styles, tous les sujets, dans des essais de peinture qui ne peuvent aboutir, où tout coexiste dans le plus grand mélange des genres et de la hiérarchie.
De 1973 à 1983 se constituent trois grands cycles (La Guerre, Académie Worosis Kiga et Kiga), où le peintre se pose en narrateur d’une fiction et il va tenter de mener une lutte contre les avant-gardes dans un psychodrame personnel et pictural. Sculptures, installations, objets picturaux divers… ces trois cycles sont, certes, une destruction de son métier tout autant qu’un élargissement des possibles de la peinture à laquelle Gasiorowski voue un culte mais qu’il ne peut plus pratiquer innocemment. Il cesse ces fictions et « revient » à la peinture en 1983, en rendant hommage aux peintres qu’il admire dans des œuvres sérielles ou de grandes dimensions qui constituent des offrandes au « fleuve peinture » mais aussi à des œuvres non picturales qui portent, pour Gasiorowski, le mystère de l’art : Lascaux, Mouk’i, Takanobu Foujiwara, Bruegel l’Ancien, Rembrandt, Chardin, Manet, Cézanne… Ce qui l’amènera à son œuvre ultime, Fertilité (1986) où Gasiorowski sent qu’il peut, enfin, peindre libéré du poids de l’histoire. Malheureusement, il meurt l’année même de manière accidentelle.
Construction-Ouvrage-Voie est une des œuvres les plus secrètes et énigmatiques de l’artiste et l’une des moins étudiées. Autant, dans les autres séries, les références sont claires autant, ici, la peinture semble échapper à toute citation. Pourtant, elle s’inscrit dans cette dernière période entre le don des Cérémonies (1983-1984) et la rédemption de Fertilité. La palette de l’œuvre faite de gris bleutés et de bruns tout comme la touche brossée par des mouvements larges rapprochent cette peinture des grandes toiles de cette période (L’Hommage à Manet, Les Six figures inintelligibles, les Stances…). L’écriture au pochoir (« Construction » en bas à gauche, « Ouvrage » au milieu en haut, GXXS – pour Gasiorowski peintre du XXe siècle – au milieu en bas et « Voie » en bas à droite) évoque les Commandements (1986) mais ces rapprochements éclairent peu. Il est tout de même possible d’établir certains éléments. Le premier est qu’il s’agit d’un paysage et l’on peut distinguer, dans la forme gris bleu à gauche un pont (auquel se réfère le terme de « construction » qui en est la légende) et une rivière – ce qui rapprocherait cette peinture des Ponctuations (1974-1983), peintures de paysage recouvrant des peintures anciennes et reprises périodiquement durant presque une décennie. On peut, d’ailleurs, considérer que cette peinture est bien le recouvrement d’un paysage par un barbouillage, paysage encore visible sur ce côté gauche. Ce qui reste du paysage évoque, de manière très forte, Le Pont de Narni de Corot, peinture faite sur le motif en Italie, peinture remarquable par la liberté de sa touche, liberté de touche que l’on retrouve dans la peinture de Gasiorowski. Le terme « ouvrage » ne légende aucune image et, par sa position, semble constituer le titre général de l’œuvre – désignant, peut-être, l’ouvrage pictural – tandis que les lettres de « voie » s’espacent pour venir souligner la forme noire à droite – qui est une des dernières à avoir été peinte –, forme noire qu’il est difficile d’identifier mais qui est, visiblement, inachevée, laissée en plan indiquerait peut-être que la voie à parcourir par l’artiste est celle du recouvrement et de l’inachèvement – ce dont témoigne Le Chemin de peinture, l’une de ses peintures les plus monumentales – et que le résultat importe moins que ce faire et que ce devenir de la peinture recouvrant tout ou qui finira par tout recouvrir. On peut aussi penser, s’il s’agit d’un hommage à Corot, que, comme dans les autres peintures du don, le recouvrement à la fois de repenser l’objet de l’hommage tout en le préservant de sa dégradation. Ainsi, Gasiorowski déclarait : « Mon travail procède de l’effacement, car en montrant le moins possible sur les surfaces les plus grandes possible, je tente de sauvegarder la peinture de l’usure du regard portée sur elle1. »
Éric Suchère
1- Entretien avec Bernard Lamarche-Vadel, dans Qu’est-ce que l’art français ?, Paris, La Différence, 1986, p. 90.