Marc GENEIX
Né en France en 1975 - Vit en France
Un enfant, coiffé d’un chapeau de sheriff, vêtu d’un habit de cow-boy et d’une épée en plastique portée à la ceinture, allume des pétards qu’il projette dans une cour d’école où se déroule l’action principale. Le film, lors de sa première présentation, a été projeté dans cette même cour d’école, en pleine nuit, avec, pendu à la branche d’un arbre, un néon – seconde partie de l’œuvre – reconstituant dans une écriture maladroite les mots « même pas mort ». L’enfant, grimé en justicier vengeur, jetant ça et là ses pétards inoffensifs, est mis en balance avec la violence réelle de notre contemporanéité déchirée par les conflits, les génocides, les destructions massives – naturelles ou orchestrées -, les foules en déshérence, les nationalismes s’entrechoquant dans le sang et les gravas, le triste stéréotype de clôtures hérissées de barbelés, les écrans de surveillance, les puits de pétroles en flammes… Le montage cut fait ainsi se succéder les scènes de cour d’école avec des documents en noir et blanc issus pour la plupart de journaux. Ils se succèdent avec force, effleurant avec révérence le souvenir de La Jetée, formidable collage photographique en mouvement réalisé par Chris Marker en 1962, additionnant la brutalité à de rares images que l’on voudrait être porteuses d’espoir, à l’instar de ce tee-shirt portant l’inscription altermondialiste « un autre monde est possible ».
Cet enfant est l’enfant générique du monde d’aujourd’hui tout en incarnant l’enfant de tous les passés. Il réactive ainsi le souvenir d’Edmund, ce jeune garçon de quinze ans filmé par Roberto Rossellini en 1947, dans Allemagne année zéro, errant dans les décombres d’un Berlin déchiqueté, qui finira par se suicider de désarroi face à la désolation sociale et morale d’un pays mort. L’enfant filmé par Marc Geneix n’est pourtant pas si clairement défini et, comme dans toutes ses œuvres, l’ambivalence doit être notre principale plate-forme de réflexion pour accéder au sens. Ce que montre le film, c’est le jeu des possibles à l’œuvre, la possibilité d’une rédemption par le changement ou la probabilité d’une permanence du pire. Le néon scintille d’un « même pas mort » avec l’écriture maladroite d’un enfant qui est aussi celle d’un vieillard. La graphologie malhabile affirme simultanément l’enfance et la fin de vie et l’on se surprend à noter à plusieurs reprises dans le regard de l’enfant l’éclat affaibli de l’épuisement. Et, au fond de la cour, un mur sur lequel sont peints des animaux – lapins, écureuils, papillons… – aux côtés du support vide d’une poubelle publique enlevée pour cause de plan Vigipirate…
Cette installation, acquise en 2006 par la collection du FRAC Auvergne, s’inscrit au sein d’un corpus parcouru par la récurrence de thèmes qui tentent de circonscrire la question de la violence contemporaine sous ses différents aspects. Le travail de Marc Geneix évolue généralement entre deux pôles : la fiction pure et l’incursion frontale dans le réel. Entre ces deux postures, les œuvres intègrent un large mouvement de balayage historique, sociologique et politique des phénomènes de violence avec, comme élément récurrent au sein de toutes les créations, la présence systématique des médias – journaux, télévision, moniteurs…. Par l’instantanéité de leurs flux et l’abolition des distances qu’ils induisent, les médias, tels que Marc Geneix les utilise, stigmatisent l’irrémédiable contraction du monde en un territoire de plus en plus minuscule, de plus en plus immédiat, de plus en plus local, de plus en plus oppressant. Dans ses installations multimédia, le passé, le présent et l’avenir disparaissent et font place nette à un temps réel permanent (ou à une confusion des temps, comme chez Chris Marker), au sein duquel le « village global » formalisé par Marshall McLuhan est de plus en plus fragilisé par une hypersensibilité au lointain doublée d’une évanescence progressive du concept de proximité.