Lydia GIFFORD

Née en 1979 et ayant fait ses études au Royal College of Art de Londres, Lydia Gifford a une pratique picturale qui insiste sur la matérialité de l’objet et tend vers la sculpture ou l’installation dans des objets souvent pauvres mettant en scène l’acte pictural et sa difficulté à être. C’est ce que l’on retrouve dans Forth qui date de 2010.
Cette œuvre est composée de deux parties, une première appelée (sur le certificat qui accompagne l’œuvre) « élément physique » et une autre dénommée (toujours sur le certificat) « élément performatif ». L’élément physique comprend un double châssis articulé recouvert de toile (peinte) sous lequel se trouve une pièce de bois de forme irrégulière. Cet élément physique peut être exposé sans l’élément performatif mais dans un accrochage très rigoureux : le haut de l’élément physique doit être à 1,85 m et doit être placé avec un espace à gauche de 2,84 m – tous ces éléments renvoyant à la première exposition de l’œuvre. L’élément performatif est constitué d’une ligne noire ponctuée par trois marques – sous et à gauche de l’œuvre. Cet élément ne peut être réalisé que par l’artiste – à l’inverse, par exemple, d’un mural de Sol LeWitt.
L’œuvre est, donc, double, constituée d’un élément qui possède, seul, une signification, mais qui peut être enrichie, faussée ou pervertie par les traces réalisées sur le mur. On peut également considérer que l’espace vide laissé à gauche – en l’absence de l’élément performatif – constitue un troisième élément – non nommé mais fondamental. La question est donc de saisir ce qui, intrinsèquement, joue dans l’élément physique et la manière dont s’articulent les relations avec les deux autres éléments. L’élément physique est, visiblement, composé de morceaux de bois coupés hâtivement, évoquant plus le déchet qu’un châssis fabriqué avec soin. Il semble aller de guingois et la « coupure » dans la partie supérieure accentue cette sensation, tout comme le morceau de bois disposé sous ce châssis qui rappelle une cale. La toile est couverte d’un badigeon qui masque imparfaitement une première couche picturale et témoigne d’une grande rapidité d’exécution. Il est question d’instabilité, de chute, de ruine, d’une image impossible.
L’espace à gauche n’est pas un vide, mais un espace à occuper. S’il ne l’est que virtuellement, lorsque l’élément performatif est absent, il est, néanmoins mesurable, physiquement présent, montrant une absence que l’élément physique semble conclure ou fermer un peu comme une page blanche sur laquelle viendraient se poser quelques mots à droite – avec cette analogie on comprend que la page, même inoccupée, est visible. L’élément performatif est double. Il est à la fois mesure par la ligne soulignant le blanc du mur, accentuant sa présence tout en étant le début d’une peinture elle-même effacée – les taches étant diluées ou raclées. Si ces taches peuvent rappeler des marques de résidus d’une activité picturale dans un atelier, leur décontextualisation – dans l’espace d’exposition – amène à les lire autrement, intensifie leur légèreté et leur caractère éphémère – puisqu’elles seront effacées après l’exposition – et cette légèreté s’oppose, bien évidemment, à la matérialité fortement présente de l’objet pictural sur la droite. On pourrait dire que Forth (adverbe qui indique le mouvement) nous fait passer de l’espace à la trace et de la trace à l’objet dans une déconstruction de l’objet pictural affirmant sa difficulté à être, à faire surgir, à rendre visible.

Éric Suchère