Paolo GRASSINO

Né en Italie en 1967 – Vit en Italie

Les sujets abordés par les œuvres de Paolo Grassino explorent de manière récurrente les questions du politique, du social avec, en toile de fond, un regard porté sur la frontière parfois ténue qui sépare l’humanité de l’animalité. Analgesia 900 est réalisée avec un matériau formant une peau, conçu à partir d’une mousse de polystyrène utilisée dans l’industrie pour la fabrication d’éponges, que l’artiste découpe, tisse, colle sur une structure d’acier et de PVC, avant de le recouvrir de cirage liquide noir. Indéniablement, le premier contact du spectateur avec Analgesia 900 ne peut laisser indifférent. Des chiens noirs, lisses, à la peau striée, sans oreilles ni bouche, occupent la carcasse brûlée et froissée d’un fourgon renversé sur le flanc. Leur posture est celle de la meute organisée, implacable et sauvage, semblant garder l’accès à un territoire interdit. La meute et sa sauvagerie représentée créent un antagonisme avec la douceur du matériau utilisé, avec sa fonction même qui est celle d’éponger, de faire disparaître la salissure et tout ce qui perturbe la salubrité domestique. D’expérience, on constate la tentation plus que fréquente chez les spectateurs de cette œuvre de vouloir la toucher afin d’en expérimenter la texture et, si certains y parviennent – bien que cela ne soit pas autorisé comme pour la plupart des œuvres d’art – et peuvent effectivement mesurer la douceur et l’onctuosité de la surface, c’est pour constater très vite que leurs doigts sont maculés de cirage, contaminés par l’œuvre et par son propos ambivalent. Accident, acte criminel, simple déchet laissé pour compte dans un terrain vague ou dans quelque cimetière d’épaves automobiles, le fourgon calciné et broyé devient l’articulation de plusieurs sens possibles de l’œuvre qui conduisent consécutivement le spectateur sur les champs du terrorisme, de l’émeute urbaine ou encore dans l’espace fictionnel d’une imagerie d’anticipation apocalyptique. Vision archétypale de la violence contemporaine, du délabrement économique et social, l’œuvre de Paolo Grassino porte également en elle le germe d’une interrogation politique empreinte de cynisme. Le titre Analgesia 900 entretient en effet de manière claire une relation avec une sphère sémantique propre à l’industrie pharmaceutique. Le titre résonne comme le nom d’un médicament analgésique destiné à supprimer la sensation de douleur et confère à l’œuvre le statut de manifeste dénonçant l’endormissement artificiel des masses par des images adoucies, faisant se succéder les thèmes de façon équivalente, provoquant la perte progressive des intensités ou esthétisant les événements les plus insoutenables – effondrements des Twin Towers lors des attentats du 11 septembre, territoires ravagés lors de catastrophes naturelles, zones de guérilla urbaine dans le contexte d’émeutes ethniques ou sociales.

Jean-Charles Vergne