Nancy GRAVES

Née en 1939 aux États-Unis. Décédée en 1995.

Au milieu des années 1970, Nancy Graves transcende sa démarche initiale qui consistait à travailler à partir de « données concrètes », et commence à réaliser des œuvres gestuelles lumineuses, abstraites et prodigieusement colorées sur toile et sur papier. Ses créations sur différents supports révèlent une liberté gestuelle et expressive toujours plus grande à mesure qu’elle insère des marques picturales de plus en plus variées sur leurs surfaces, entre traits épais et traînées de vapeur évanescentes peintes à l’aérographe. Son travail autour de l’aquarelle a profondément influencé cette évolution. L’artiste commence à explorer l’aquarelle en 1974 avec une série de toiles aux tons vifs représentant des vues aériennes d’ouragans tourbillonnants, réalisées à partir d’images satellites de la NASA colorisées selon un code couleur pour indiquer les flux de chaleur. À la même époque, elle engage un processus de retouches successives de ses formes et gestes à partir de « citations » puisées dans ses œuvres plus anciennes, qu’elle traduit en un glossaire d’abstraction personnel et intuitif.

Si ses aquarelles gestuelles paraissent abstraites au premier abord, Nancy Graves explique qu’elles sont inspirées de ses peintures réalisées à partir de cartes de la surface lunaire de la NASA : les aquarelles de 1977 se réfèrent aux peintures de 1972-73 (les Moonwater Series). « Les cartes géologiques de la lune ont été mon point de départ. Les diverses densités de couleur et les différents types de textures ou de marques ont été obtenus en interaction avec le processus de séchage. La surface fluide de teinte diaphane et nébuleuse contraste avec des traces plus nettes, indiquant que la surface du papier est devenue plus râpeuse durant le séchage. » 1-2

Comme dans ses toiles précédentes, basées sur une perspective satellite, l’artiste dirige son regard vers le bas et adopte un processus et une technique nécessairement horizontaux : « Je travaille sur une surface plane et l’eau s’évapore… au bout de huit heures environ. La difficulté consiste à façonner une matière qui évolue constamment au fil de mon travail. En un sens, cela s’apparente à une performance ». 3 Nancy Graves choisit de travailler sur des feuilles de papier aquarelle de grandes dimensions – souvent plus d’un mètre sur deux –, portant ce support à une échelle inhabituellement ambitieuse et renforçant par ailleurs le caractère performatif de ses créations, ainsi que la puissance expressive de ses toiles. Elle continuera d’explorer l’aquarelle avec passion jusqu’à la fin de sa vie.

Dans tous les supports qu’elle a traités et maîtrisés, Nancy Graves a su repousser les limites du genre artistique, de l’échelle, de la technique et du sujet en fusionnant les procédés visuels, viscéraux et conceptuels d’appréhender l’art et la vie dans des œuvres profondes et inspirées qui transcendent son époque.

Christina Hunter, directrice exécutive de la Nancy Graves Foundation.

1- Notes de l’artiste, Archives de la Nancy Graves Foundation

2- Une aquarelle de cette série, Leeta, 1977, (111,8 cm x 212,7 cm) est acquise par le Metropolitan Museum of Art de New York en 1978.

3- Nancy Graves, Conférence à l’École de peinture et de sculpture de Skowhegan, 1979.

 

À propos de Ibsto :

Dans les années 1970, fascinée par la beauté du cosmos, Nancy Graves employait des images de la surface lunaire fournies par la NASA pour réaliser ses peintures (« les cartes géologiques de la Lune ont été mon point de départ1. »). Les grandes aquarelles du début des années 1980 ont délaissé les cartographies de l’astre pour fonder leur territoire propre, acceptant une ampleur du geste libéré de tout référent. Le champ chromatique d’Ibsto, versé en pluies, flaques fantomatiques ou lumières ruisselantes, extrapole les reliefs et cratères de la Lune en couleurs liquides. La sécheresse du paysage aride se noie sous une encre dont les rouges, les jaunes et les oranges embrasés se constellent comme des astres parsemés de bleu nuit, de noir et de roses impossibles à trouver dans les confins sidéraux. Dans une analogie sidérante et sidérale, l’aquarelle résonne avec les images de la nébuleuse de la Tarentule transmises par le télescope spatial James Webb. Étendue sur des centaines d’années-lumière, la nébuleuse étire des jambes de gaz autour d’une cavité cosmique sculptée par des étoiles naissantes. Dans sa lumière, les jeunes étoiles chaudes perdent de leur brillance, les gaz incandescents révèlent des soleils naissants, enfouis dans leurs cocons de poussière. Ibsto frémit d’un bouillon originel stellaire brûlant, prophétie d’un bouquet d’étoiles nées de l’audace d’un hasard consacré par l’Univers.

Jean-Charles Vergne

1– Notes de l’artiste, Archives de la Nancy Graves Foundation.