Eberhard HAVEKOST

Né en ex-Allemagne de l’Est en 1967 – Décédé en 2019

La peinture d’Eberhard Havekost se manifeste dans la prolifération de sujets sans véritables liens en apparence mais dont l’apparition récurrente dans son œuvre ne laisse que peu de doute sur l’importance de leur choix : façades d’immeubles résidentiels cadrées en contre-plongée très serrée, vues frontales de caravanes au design lisse et standardisé, visages cagoulés, encapuchonnés, casqués, voitures accidentées vues sous plusieurs angles, étendues de paysages perçues par des fenêtres de trains, fuselages d’avions, visières teintées de casques de pilotes de chasse, coups de flashs sur des murs sombres… Au sein de cette profusion, les couleurs employées sont traitées avec une intention visible d’harmonie chromatique générale. La couleur donne le ton, dévoilant implicitement que l’hétérogénéité des sujets abordés n’est qu’une apparence et qu’il est question dans cette œuvre de provoquer un sentiment particulier sur la manière d’envisager la réalité.
Les peintures d’Eberhard Havekost sont des interfaces qui ne font que reproduire ce que nous faisons en permanence : filtrer la réalité, voir les choses d’un point de vue subjectif et donc forcément erroné, procéder à d’incessantes simplifications du réel, assister à une succession de réalités disparates qui se suivent comme se succèdent les photogrammes d’une pellicule cinématographique. Depuis le début des années 90, toute la production de l’artiste allemand repose sur la reprise d’images – photographies extraites de journaux ou de magazines, de films ou de vidéos, clichés personnels. Les images sont systématiquement passées par le crible d’une manipulation informatique destinée à en modifier significativement la surface. Les détails sont élagués, les surfaces muées en aplats, les arrière-plans parfois transformés en fonds irréels, la couleur des images éventuellement inversée en négatif… La réalité ainsi filtrée numériquement puis filtrée à nouveau par sa transposition en peinture devient une sur-réalité, à envisager non pas comme une réalité « au-delà du réel », mais comme une réalité surlignée, contrastée, recadrée.
« Je tente de découvrir quels sont les filtres que nous utilisons dans notre manière de percevoir… Ma peinture essaye de déchiffrer nos filtres » explique Eberhard Havekost dans un entretien intitulé « Je peins ce que je ne vois pas ». Peindre ce que l’on ne voit pas ne signifie pas peindre l’invisible ou ce qui est caché mais revient à affirmer que nous ne pouvons peindre que ce que nous voyons de la réalité, c’est-à-dire une falsification permanente. Peindre ce que l’on ne voit pas revient à dire que nous sommes incapables de voir (parce que nous filtrons en permanence) et que, de fait, nous ne pouvons que peindre du point de vue de cette incapacité. C’est là l’un des aspects essentiels de la peinture d’Eberhard Havekost : pousser le filtrage du réel au maximum pour redessiner une réalité édulcorée, liftée, lissée. Ses peintures se déploient souvent en séries au sein desquelles un même sujet est représenté sous des angles de vue légèrement différents ou selon un principe de répétition exacte d’une même image subissant des transformations. Ainsi, les quatre premiers éléments du polyptyque Eingang (Entrée) montrent quatre coups de flash sur une surface vitrée dans un corridor obscur. Cette surface vitrée est celle de fenêtres du bâtiment qui abritait le Ministère de la Culture Est-allemand, démontées pour être vendues aux enchères.
Eingang avec ses quatre états lumineux et leur atmosphère de gelée photonique, et son cinquième élément, vision d’un réacteur d’avion depuis un hublot, est semblable à un montage cinématographique non linéaire. Si le flash permet à l’observateur de percevoir l’obscurité, la dernière œuvre provoque quant à elle le retour à la lumière pure d’un ciel stratosphérique. Eingang pose le principe de la parfaite relativité de notre perception du réel, principe renforcé par l’atmosphère de gelée photonique qui semble baigner les deux premiers éléments de l’œuvre.

Jean-Charles Vergne