Philippe HURTEAU

Né en France en 1955 - Vit en France

Le cryptage des chaînes de télévision (pour interdire leur accès aux spectateurs non abonnés) produit des images floues, donc des images qu’on ne peut regarder. Le critère en effet qui permet de distinguer une image réussie d’une image qui ne l’est pas est celui de la netteté (et il y a des boutiques qui développent les photographies d’amateurs qui ne font pas payer les photos floues !). Une photo floue, une image floue, en ce qu’elles semblent avoir échappé au contrôle de leur créateur, sont considérées comme des accidents : elles ne sont pas dans la norme.
Mais cette norme est une convention de représentation, comme peut l’être la perspective ou la couleur (on a longtemps regardé le cinéma en noir et blanc sans que son effet de vérité soit altéré) et les spectateurs furtifs des films cryptés le savent : le pouvoir de fascination des images reste intact, voire se trouve renforcé, avec le flou, qui fonctionne alors comme une limite, une sorte de frontière que l’on a envie de franchir pour aller vers la netteté.
Le travail de Philippe Hurteau est fondé sur cet effort, sur ce désir de voir enfin plus que ne montrent les images. Désir de voir au-delà de l’image, de s’approcher au plus près de la réalité qu’elle désigne. Philippe Hurteau utilise donc, entre autres, des images déclassées, de celles qui ne sont pas censées être montrées. Le flou sert alors d’embrayeur : il met en route le travail de l’imagination, il avive le désir de voir plus et plus près. L’œuvre du FRAC Auvergne, Canal R2, est ainsi construite à partir d’une image extraite d’un film passant sur une chaîne cryptée. Le travail de l’artiste se limite donc essentiellement au choix de l’image : il n’intervient pas dans sa fabrication ; c’est une image empruntée. Et cette image, sortie de son contexte, dénaturée par le cryptage, est désormais regardée pour elle-même, pour ce qu’elle est réellement : la trace d’une réalité lointaine, inatteignable, et pour sa capacité, dont l’artiste est juge, à mettre en route un processus de désir. Le travail de Philippe Hurteau a ainsi l’ambition d’analyser le pouvoir des images : elles ne sont pas une copie du réel mais elles suscitent du réel. Ce ne sont que des fragments, des traces de couleurs et de formes. Mais l’on voudrait, parce qu’elles nous ont lancé un appel, qu’elles prennent corps et que d’un coup nous soit donné, enfin, du réel.

Julia Garimorth