Ismaël JOFFROY CHANDOUTIS
Né en France en 1988, vit en France
Diplômé de l’INSAS (Belgique) en montage, de l’école supérieure d’art Sint-Lukas (Belgique) en réalisation ainsi que du Fresnoy (France), Ismaël Joffroy Chandoutis explore un cinéma à la frontière des genres. Ses films abordent le questions de la mémoire, du virtuel, de la technologie et des espaces intermédiaires entre les mondes, entre les mots. Ses films ont été sélectionnés et primés dans de nombreux festivals internationaux (IDFA, Slamdance, Clermont-Ferrand, Annecy, Hotdocs, BFI London…) En 2017, son film Ondes Noires, acquis par la collection du FRAC Auvergne, reçoit le prix Festivals Connexion Auvergne-Rhône-Alpes à Clermont-Ferrand, le Grand Prix et le Prix de la Jeunesse au Festival de Regensburg ainsi que le prix du meilleur documentaire au Festival de Chypre. en 2018, Ismaël Joffroy Chandoutis a été récompensé par le Prix ADAGP Révélation Art Numérique et le Prix Studio Collector. En 2019, son film Swatted reçoit le prix Scam Émergences, le prix spécial du jury Labo au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand, le prix Artistik Rezo et le grand prix Vidéoformes.
Une société ultra-connectée où les ondes ont envahi presque tous les espaces. Trois personnes intolérantes aux radiations électromagnétiques témoignent de leur survie au sein d’un monde qui leur semble de plus en plus interdit. La mise en scène explore l’idée d’une décélération du temps comme condition nécessaire à la perception d’un réel qui s’étend au-delà du visible. Ondes Noires / Dark Waves est un court-métrage documentaire nourri de l’esthétique de l’art vidéo (glitch art, ralenti, musique drone), mais c’est aussi un cauchemar apocalyptique qui en rappelle d’autres, cinématographiques ou télévisés, de science-fiction (Terminator, Invasion Los Angeles, Matrix). Leurs personnages, poussés à la marginalité, fuient un monde devenu dangereux, mortifère, tandis que la plupart de leurs semblables ignorent ou feignent d’ignorer le mal qui les contamine déjà. Le mal est invisible, ce sont les ondes électromagnétiques circulant entre les appareils numériques qui font souffrir les trois personnages, ou plutôt les trois narrateurs. Pour figurer ces ondes, Ismaël Joffroy Chandoutis va fréquemment chercher des courbes dans les paysages urbains – virage de voie ferrée, lettrages de graffitis, modules des skateparks – ou dans le reflet d’un étang. Des glitchs viennent distordre la représentation du réel, l’image documentaire, et dissoudre la matière en cauchemars picturaux composés de pixels cancéreux. Notre appréhension du monde se dérobe. Au son, drones, ultrasons et bruits numériques nous enferment dans un espace oppressant d’acouphènes et de saturations de signaux. Ces images glaçantes, comme l’utilisation des ralentis, semblent être des tentatives de déceler les ondes dissimulées, de les capter pour nous les donner à voir – on pense encore à Invasion Los Angeles et à ses lunettes, qui révèlent à celui qui les porte l’asservissement imposé aux humains par des aliens sournois. Cet univers métallique, froid et peuplé de spectres vampirisés par leurs smartphones, contraste avec les voix humaines des trois personnages souffrant de sensibilité électromagnétique – on reconnaît d’ailleurs le beau timbre du comédien Slimane Dazi (vu dans Un Prophète, Les derniers Parisiens ou Only Lovers Left Alive). Cette malédiction, qui les pousse à vivre dans une caravane au milieu des bois ou entre des murs recouverts d’aluminium, en fait des explorateurs (ou des cobayes) : est-il encore possible d’échapper à cette société numérique et connectée, ou est-ce définitivement voué à l’échec ? Ils nous disent que la campagne est déjà infiltrée d’antennes-relais camouflées en arbres, qui progressent comme les soldats de Macbeth, et envahissent les zones blanches les unes après les autres. Et que les gouvernements et les GAFA(M) prédisent une « couverture totale » assurée par des drones, jusque dans les déserts et en Antarctique. Ondes noires pose donc aussi une question politique essentielle, celle de la possibilité que laisse la société actuelle de vivre à sa marge, des espaces qu’elle consent à ne pas couvrir.
Virgile Guihard
« La première fois que j’ai entendu parler de ce symptôme, c’était dans un article du Monde datant de 2014, qui évoquait la création du premier refuge anti-onde en Europe à Zurich. J’avais lu beaucoup d’articles contradictoires sur la véracité de ce symptôme. Comme je suis de nature curieuse, j’ai un jour décidé, sans plus de raison, de rencontrer le fondateur du refuge, Christian Schifferle pour une interview. C’était en janvier 2016. Quand je l’ai rencontré, avec les autres habitants du lieu, je n’ai plus eu aucun doute. En écoutant leurs récits de détresse, Ça m’a tellement touché que j’ai eu l’idée de faire un film là-dessus. C’est un film qui prend le temps. Les plans sont ralentis mais ont aussi des durées assez longues. Il y avait l’idée de scanner le réel, de saisir un peu mieux sa complexité. Dans les reportages, les plans ne durent jamais plus de deux secondes… Cette temporalité permet aussi de mieux focaliser sur la narration sonore, qui est au cœur du film. Un des enjeux majeurs étaient de faire percevoir au spectateur le cauchemar que subissaient ces personnes. Sauf qu’on ne ressent bien évidemment pas toutes les ondes. Se pose alors la question de la représentation de l’invisible. J’ai tout de suite pensé à puiser dans l’imaginaire, les rêves… Quelque chose qui me semblait juste d’aborder avec l’animation pour contraster avec le régime d’image du réel. Mon intention plastique était tordre le réel progressivement, ou plutôt l’image et le son qui le représente. Je voulais que l’image et le son saignent par le biais de distorsions, d’artefacts numériques, comme s’ils étaient attaqués et contaminés par les ondes. » (Ismaël Joffroy Chandoutis)