Aneta KAJZER

Née en Pologne en 1989 - Vit à Berlin

La peinture d’Aneta Kajzer échappe aux concepts normatifs de l’image, alterne entre gravité et humour, se risque au balancement entre beauté et laideur. Le processus démarre par un choix de couleurs et de mouvements, dont émergent des formes d’abord transitoires, en constante évolution, avant de se fixer par la suite en figures. Dans un dialogue permanent avec les motifs qui se présentent sur sa toile, Kajzer alterne les gestes planifiés et les gestes intuitifs. Elle produit des situations conflictuelles entre figuration et abstraction et réunit des oppositions formelles. Souvent, une virgule de peinture bien ponctuée résout l’ensemble du tableau, tirant profit du phénomène de pareïdolie et d’associations suggestives.

Sa peinture fusionne des éléments abstraits et semi abstraits. Le « semi » est important parce que, dans ses œuvres, surfaces et formes empêchent toute lecture univoque. Les visages et les personnages redeviennent des taches avec le coup de pinceau suivant, les libres aplats de couleur se transforment en un tournemain en nuages orageux ou en éléments naturels. Sa palette actuelle de couleurs plus pastel rappelle Maria Lassnig, l’une de ses grandes sources d’inspiration. L’art de Miriam Cahn, dont les têtes d’allure fantomatique surgissent en couleurs intenses, est également une référence pour elle.

Les mondes picturaux d’Aneta Kajzer sont ancrés dans la nature. Chez elle, le temps météorologique, le ciel, l’univers et la faune terrestre naissent de la couleur. Über den Wolken (« Au-dessus des nuages ») est une composition dynamique. Une sphère orange et rouge se dégrade vers le noir dans le coin supérieur droit de la toile et au beau milieu s’empilent des tourbillons nuageux bleu clair. Toutefois, il ne s’agit pas d’un orage en formation, mais d’un ami des nuages qui accompagne dans son vol le spectateur situé en dessous. Une impression bienveillante se dégage de la bouche orange et des yeux bleu foncé, même si le vaste mouvement de la bouche fouette vigoureusement l’air et l’eau. Au milieu du tableau, les nuages s’éloignent de la sphère, une vaste surface blanche reste vierge mais, entre les éléments de la nature, ce blanc semble soudain aussi profond que le noir de la nuit – une finesse dramaturgique. La caractérisation des couleurs – dans les personnages, les spectres, les éléments naturels ou météorologiques – est typique du langage visuel d’Aneta Kajzer. Souvent, les personnages sont mélancoliques, songeurs, ou en fuite. Et, toujours, ils s’inscrivent dans une dramaturgie lumineuse particulière, un jeu sombre-clair, profondeur-ombre, ou air-ciel. L’abstraction domine, certes, mais les possibilités d’interprétation qui naissent des petits ajouts formant les visages sont étonnantes. Il n’est cependant pas question ici de trancher pour le figuratif ou non. Si l’opposition entre peinture abstraite et figurative a donné lieu à des débats passionnés au XXe siècle, nous vivons aujourd’hui à une époque qui admet les frontières hybrides en matière de styles. Les classifications rigoureuses sont dépassées. Aneta Kajzer montre de manière ludique la liberté de la peinture contemporaine : on mélange les goûts suivant ce que demande le tableau, on peint ce dont il a besoin et ce qu’il exige.

 

Larissa Kikol