Julije KNIFER

Né en Croatie en 1924 – Vit en France

Depuis son origine dans les années soixante, en Croatie aussi bien qu’en France où il s’est installé en 1991, Julije Knifer inscrit sa démarche dans le cadre d’une tradition de la dépersonnalisation. Au tournant des années cinquante/soixante, il a fait partie à Zagreb aussi bien du groupe d’art construit Nouvelle Tendance que du groupe néo-dadaïste Gorgona, et c’est alors qu’il a élaboré peu à peu, dans une série de dessins abstraits, une forme qui lui permet toujours « avec des moyens minimaux  – avec des contrastes extrêmes – (d’)obtenir un rythme monotone » : le méandre ou frette crénelée, ligne continue se brisant à chaque fois qu’elle atteint un bord, imprimant à la vision un mouvement sinueux de gauche à droite. Il s’agit d’un motif emprunté et non inventé, dont l’histoire dans les arts décoratifs de l’antiquité a été faite il y a plus d’un siècle par Riegl. Sa principale particularité reste son extraordinaire versatilité, sa capacité à occuper n’importe quelle surface, sans dépendre outre mesure des moyens utilisés pour son inscription. C’est un véritable moyen d’arpentage du plan, la meilleure façon d’organiser une promenade contemplative le long d’un tableau ou d’un dessin, avec une grande économie (au sens lié à la théologie orthodoxe que ce terme peut avoir dans la pensée de Malévitch, une des influences majeures des années d’études de l’artiste). Arnauld Pierre a récemment souligné qu’avec le méandre, Julije Knifer a su trouver l’équivalent dynamique de ce motif majeur de l’art du vingtième siècle qu’est la grille – statique. Sans changer le motif de ses œuvres, sans en altérer non plus la rigueur du contraste noir et blanc, l’artiste produit pourtant ici, comme à chaque fois, un tableau dont la spécificité est manifeste.
Les dimensions monumentales transforment en effet le mouvement visuel du méandre en un véritable mouvement corporel : elles obligent à un déplacement latéral qui n’est pas que métaphorique et qui seul laisse percevoir, derrière cette unité dynamique, une coupure – celle vers le haut qui en inverse les priorités de lecture (fond blanc/forme noire puis forme blanche/fond noir et vice versa). La régularité et la stabilité du motif s’inscrivent donc dans un déplacement qui fait disparaître les certitudes du premier abord sans les remplacer par d’autres, ni non plus les valoriser en soi (de telle sorte que l’on pourrait au moins être sûr de n’être pas assuré). Si les choix formels de Julije Knifer assurent qu’i n’y a pas de progression au sein de son œuvre depuis trente ans, pas de périodisation possible ni souhaitable, qu’il y a toujours retour de presque identique, ils permettent aussi, d’autant plus ici parce qu’aucun effet de surface ni aucune facture autographe ne peuvent renvoyer à une origine ou à une finalité de l’œuvre (en arrière ou en avant), que le tableau ne soit qu’un déplacement de côté, ce que l’on peut interpréter comme « forme du temps qui s’écoule et forme de la pensée qui chemine : forme d’une pensée en mouvement ».

Eric de Chassey