Carlos KUSNIR

Né en Argentine en 1947 - Vit en France

Carlos Kusnir est un artiste difficile à cerner tant il s’évertue à entraîner le spectateur de ses œuvres sur de multiples voies qui, toutes ou presque, semblent mener soit à une impasse, soit à une chausse-trappe destinée à ruiner tout effort de modélisation ou de catégorisation de son œuvre. Carlos Kusnir se comporte en trublion hurluberlu brouillant les pistes, passant de peintures en trompe-l’œil à des tableaux sonores et loufoques, puis s’activant dans la réalisation d’immenses peintures-façades à la fois très ornementales et nonchalantes, maniant la douche écossaise avec une remarquable virtuosité. Il n’a de cesse de contourner avec malice ceux qui voudraient aborder ses œuvres par le biais d’un intellectualisme trop zélé au détriment du plaisir éprouvé à rencontrer de bons morceaux de peinture totalement émancipés, investis d’une spontanéité et d’un appétit de peindre absolument assumés. Il contourne le discours, se joue de ses propres œuvres dans une stratégie un peu kamikaze qui s’apparente au sabordage en règle, comme pourraient le faire, en musique, des artistes comme Hugues Le Bars ou Brigitte Fontaine, pour le côté déjanté et le ratage programmé. Dans cette façon de scier en permanence la branche sur laquelle il pourrait être confortablement installé, de prendre à rebrousse-poil les conventions et les dogmes, il y a vraiment chez Carlos Kusnir une propension à entraîner le spectateur sur un terrain miné par l’ambivalence et la bouffonnerie. Cette fâcheuse tendance à contrer toute logique dans l’évolution de son œuvre, à défaire ce qui est construit laisse planer une ambigüité sur cette attitude dont on ne sait, en définitive, si elle est mue par une véritable iconoclastie ou si cette entreprise de sape n’a pas finalement pour objet de camoufler une sensibilité et une poésie exacerbées.
Cette manière d’être et de créer, qui rend Carlos Kusnir totalement imprévisible, peut faire songer à Olivier Cadiot lorsqu’il écrit, dans Futur, ancien, fugitif : « J’avais vite cessé tout travail régulier pour me livrer à des petits jeux imbéciles, reconstitutions de scènes sans intérêt, conversations à voix haute, chansons idiotes, etc. Le risque était grand de finir par y croire et c’est exactement ce qui arriva. ».
Avec Le Grand Geste, acquis par la collection du FRAC Auvergne en 1999 il parodie la grande époque de l’abstraction gestuelle et lyrique, cite le futurisme italien tout en adressant un bon pied de nez au principe de tautologie linguistique de l’art minimal américain d’un Joseph Kosuth ou d’un Lawrence Weiner.
Prestissimo, acquise en 2001, est une œuvre monumentale dont la physiologie est celle d’une façade aux motifs répétitifs et décoratifs. Anodine en apparence parce que totalement ornementale, elle constitue une sorte de décor de pacotille proche d’un papier peint d’une banalité confondante. Avouant aimer les ornements pour leur rythme et leur mélodie, Carlos Kusnir a choisi de doter Prestissimo d’un élément sonore – d’où le titre de l’œuvre – par l’inclusion de six enceintes reliées à un dispositif d’amplification dissimulé à l’intérieur de l’œuvre, derrière une porte que l’artiste a volontairement laissée apparente. Chaque enceinte est généreusement cernée d’un grand cercle de peinture noire vigoureusement exécuté à la manière d’un artiste « performer » qui aurait peint à l’aveugle – un cercle notamment a raté sa cible. L’œuvre s’accompagne donc systématiquement d’une diffusion musicale qui peut être réalisée à partir d’une bande sonore de type musique d’ascenseur, fournie par l’artiste (constituée de deux morceaux, intitulés Prestissimo et Syracuse). L’essentiel étant de générer une ambiance relativement pauvre sous-tendue par une « muzzak » qui, très amusante au début, peut devenir, à la longue, agaçante pour le spectateur ou, pire, pour celles et ceux dont la tache consiste à accueillir les visiteurs. Autant dire qu’il s’agit là d’une œuvre totalement paradoxale puisqu’il est finalement très difficile d’envisager de vivre avec elle en permanence… Le ratage programmé évoqué précédemment prend ici tout son sens, avec un étonnant brio.

Jean-Charles Vergne