Jonathan LASKER

Né aux États-Unis en 1948 - Vit aux Etats-Unis

Dat is dot, sous ce titre se cachent plusieurs significations. La première serait la retranscription phonétique de That is that (Ceci est ceci). La deuxième signification découle de la première That is a dot (Ceci est le point) et il faut entendre par point le signe graphique. Enfin, le titre est la contraction de ces deux propositions par l’élimination de l’article indéfini (Ceci est point, et il est possible d’étendre la signification de point à pointer) et la création d’un jeu d’homophonie (Dat is dot devenant la transformation d’un signe en un autre : un « dat » est un « dot »).

Il faut, évidemment, se méfier de l’interprétation d’une œuvre par le titre. La peinture n’est pas l’illustration de cette proposition verbale mais le titre permet d’offrir, ici, une piste de lecture. Cette œuvre, de dimension réduite, propose trois systèmes de représentation : un signe graphique géométrique formant des surfaces évidées – les rectangles qui ponctuent l’espace horizontal de la toile –, un gribouillis formant une surface noire centrée à la surface et deux ensembles de trois lignes colorés, l’un à même la surface de la toile, l’autre placé sur un empâtement blanc. Ces trois signes hétérogènes constituent trois registres expressifs. Ces trois registres expressifs sous-entendent un code. L’œuvre tente à la fois de contenir et d’homogénéiser ces différences et d’organiser les transitions, de permettre le passage d’un état à un autre, d’une manière similaire à la proposition verbale qui sert de titre.

On peut supposer que chaque signe, quel qu’il soit, est un code. Ce code est dépendant de l’histoire. Un trait n’est jamais neutre, il contient l’histoire de son utilisation et un système de significations déjà préétablies. On peut supposer, en général, que la main, tout en jouant avec les signes, manifeste une vérité expressive. Le signe est ce qui permet l’expression, dans un registre, du sujet. Jonathan Lasker brouille, par sa peinture, ces deux idées : le renvoi d’un signe à un seul système de signifiants et la liaison entre l’expression et l’homogénéité des signes – ce qui fait le style. Cette hétérogénéité redéfinit, ainsi, l’histoire expressive et signifiante de la peinture. Celle-ci s’offre, dans sa grammaire, comme un double de l’hétérogénéité du réel.

Les rectangles évidés évoquent la peinture géométrique abstraite, une peinture dont les sous-entendus expressifs sont la froideur, la rigueur, l’absence d’expressionnisme, la rationalité… Leur alignement, qui n’est brisé qu’à un seul endroit, donnent une trame évoquant l’urbanisme moderne mais le signe, lui-même, peut rappeler un point d’exclamation. Le signe est donné une première fois (sur la gauche) puis il ne cesse d’être perturbé dans sa lecture en étant descendu ou recouvert. On passe de l’organisation stricte à l’asymétrie et de la pureté signifiante à l’impureté par contact ou miction. Le gribouillis évoque un dripping ou un recouvrement désordonné et rageur. Ses sous-entendus sont l’expressivité, l’aléatoire, le naturel… Pourtant ce signe est formé par le même matériau que les rectangles, c’est-à-dire le trait noir. Il y a la transformation d’un état à un autre (du dot au dat), le passage d’un état à son extrême d’un même élément (du géométrique à l’aléatoire et du blanc au noir). Cet élément ne découpe pas la surface mais la forme. Les trois traits colorés, en contrastant avec l’austérité chromatique et en étant tracés à main levée, constituent le registre lyrique et émotif. L’un s’introduit dans la trame, l’autre la recouvre mais ils ne constituent pas le même élément disposé en miroir. Celui de droite, en étant placé sur un empattement voit ses potentialités expressives modifiées. L’empâtement évoque l’organique, cette suggestion discrète (l’empâtement est blanc) modifie sa lecture. L’empâtement blanc devient le double en négatif du gribouillis noir.

Ainsi, chaque élément peut assurer son autonomie (Ceci est ceci), tout en étant transformé dans son contexte (Cela est ceci). Cette manière d’envisager la peinture ne constitue pas simplement un jeu sémantique ou, plutôt, le jeu sémantique ne renvoie pas simplement à lui-même dans la gratuité de son établissement. C’est ce qu’affirme l’artiste : « Ce qui compte aussi beaucoup pour moi, c’est le fait de créer une image, et j’utilise des marques et des signes différents, antagoniques, pour créer une image bien particulière, peut-être un tableau de certains aspects de la réalité humaine, ou du caractère émotionnel de notre vie intérieure dans son conflit avec une réalité extérieure ou plus consciente1. »

Eric Suchère

1- Interview par Michel Bulteau, in Jonathan Lasker, Issoire, catalogue de l’exposition Centre Nicolas Pomel, Salles Jean Hélion, 1998, p. 21.