Natacha LESUEUR

Née en France en 1971 - Vit en France

Depuis 1993, Natacha Lesueur photographie presque exclusivement le corps – il y a quelques incursions dans le domaine de la nature morte et du paysage – dans des mises en scène savamment composées où la couleur joue un rôle primordial. Son travail est principalement sériel et chaque série explore une idée d’image : corps servant de plateau à sushis et makis, coiffes décorées d’aliments, bonnets de bain alimentaires, tests optiques comme imprimés sur le corps, dents remplacées par des fèves, empreintes de plumes sur le visage, rires sanguinolents… Grâce à la donation des collectionneurs Marc et Anne-Marie Robelin, le FRAC Auvergne possède un ensemble de photographies datant de 1994 à 2002.

La première œuvre date de 1994 et appartient à la série que l’on appellera – par commodité –, Les Pressions qui s’échelonne de 1994 à 1996. Le principe en est simple puisqu’il s’agit d’obtenir une empreinte de vêtement, d’un bijou ou d’un motif sur le corps par pression. Si ces œuvres peuvent rapidement évoquer Odio (1971) de Gilberto Zorio, photographie montrant l’empreinte du mot « haine » sur le front de l’artiste, l’idée initiale est plus directe puisque chacun a pu faire l’expérience, par exemple, d’une chaise canée laissant sa trace sur la peau après une longue station assise. Partant de cette expérience assez commune, Natacha Lesueur a pratiqué des gaufrages qui vont du rapport le plus mimétique – empreinte de bas ou de chaussettes – au plus abstrait en ne gardant que l’idée du motif sans évoquer pour autant le vêtement – c’est le cas de l’œuvre du FRAC Auvergne.

La photographie, dans son esthétique, évoque aussi bien la publicité que la photographie de mode – et, dans le cas de l’œuvre du FRAC, la ressemblance avec les photographies d’Audrey Hepburn prises par Cecil Beaton pour le magazine Vogue en 1964 est sidérante. Il s’agit de prises de vue où toute psychologie est niée au profit d’une surface bien léchée toujours un peu clinquante. Tout est visible, très visible ainsi que l’affirme l’artiste : « Mes photographies sont toujours réalisées à la chambre au format 4/5, si bien que leur grande netteté révèle parfaitement le grain et les pores de la peau, le duvet et les petits boutons1 ». Il ne s’agit pas simplement de précision, ni de réussir à montrer finement l’empreinte réalisée que de produire un excès de visible où rien n’échappe, où le pathos possible de l’utilisation du corps s’absente, où la photographie affirme son artificialité fondamentale et sa futilité en un « ce n’est que ça » qui vient tout de suite après que l’on ait été marqué par la qualité de l’image. La photographie apparaît comme une mise en scène, un mensonge sidérant de vérité ne disant que sa surface – ici, en une surface saisissant une autre surface, en une impression d’empreinte.

Ce soin est remarquable dans les séries des Ongles élaborées entre 1996 et 2003. Il existe quatre séries différentes où, à chaque fois, l’ongle est sculpté suivant une typologie particulière – dans le cas des cinq œuvres du FRAC Auvergne, en pointes de flèches. La manucure est ici poussée au paroxysme de l’artificialité et oscille entre la décoration tribale et la névrose obsessionnelle de celui qui ferait des maquettes en mie de pain. La photographie de Natacha Lesueur traite de l’apparence et, d’une certaine manière, de sa futilité autant que du soin que l’on peut apporter à celle-ci. La qualité maniaque de la découpe ne met en évidence que son inutilité – et l’on retrouvera, là, quelques-unes des préoccupations d’Oscar Wilde dans Le Déclin du mensonge (1891).

La dernière photographie appartient à la série que l’on pourrait appeler Les Coiffes qui s’échelonne de 1997 à 2002 où l’artiste montre, pour reprendre l’énumération de Thierry Davila, des « coiffes décorées de cerneaux de noix, de noix de cajou et de fleurs de tête de moine (du fromage), ou bien ornées d’ananas superposés entourés de cerises confites, chignons avec des crevettes, des poulpes, du persil et des choux romanesco2 ». L’œuvre du FRAC est une des plus formelles et une des plus luxueuses de la série, celle, également, où l’humour est le moins affirmé. Ce luxe – l’on pensera au bleuté des cheveux – évoque ce que dit Baudelaire dans son « éloge du maquillage » qui figure dans le texte fondamental qu’est Le Peintre de la vie moderne : « Le sauvage et le baby témoignent, par leur aspiration naïve vers le brillant, vers les plumages bariolés, les étoffes chatoyantes, vers la majesté superlative des formes artificielles, de leur dégoût pour le réel, et prouvent ainsi, à leur insu, l’immatérialité de leur âme.3 » Et c’est ainsi que la futilité devient essentielle, que la surface devient une profondeur.

Éric Suchère

1- Gauthier Huber, « Natacha Lesueur : l’ornement c’est le corps », Rendez vous 2, janvier 2005, disponible sur le site http://natachalesueur.com/

2- Thierry Davila, Natacha Lesueur, Surfaces, merveilles et caprices, Mamco, Genève, 2011, p. 18.

3- Baudelaire, « Le Peintre de la vie moderne », Critique d’art suivi de Critique musicale, Paris, Gallimard, collection Folio essais, 1992, p. 376.