Raymond MASON
Raymond MASON
Né en Grande-Bretagne en 1922 -Décédé en 2010
Ce sculpteur, mais qui savait si bien peindre – In Memoriam, de 1958, est une des grandes œuvres de la peinture du siècle – fut retenu d’emblée par le bas-relief, qu’il dota très souvent d’un cadre. Ces sculptures ont chacune ce que la sculpture refuse, en tout cas depuis les scénographies du catholicisme baroque, un décor animé par une atmosphère, qui implique un ciel et une lumière, diurne ou nocturne. Or, ce décor, nous savons aussi que Raymond Mason s’en inquiète, peut-être sous l’influence de Giacometti, dont La Place, de 1948-49, n’est que quatre figures qui errent à la recherche d’une cinquième, admirable fusion d’immobilité et de mouvement, mais sans trace d’illusionnisme. Et il fit disparaître tout élément de décor, réserve faite de la civière où est placée la victime, de L ‘Agression qu’il conçoit et achève en marge de la plus grande sculpture, en 1976. Mais même cette scène ainsi réduite à ses personnages – ils sont douze autour de ! »assassiné, est-ce encore un affleurement des archétypes du christianisme – ne cesse pas pour autant d’être ce que j’appelle un tableau. En effet, on la regarde de gauche à droite, sous l’autorité d’un grand axe horizontal qui passe par la ceinture rouge, le corps gisant de tout son long sur le brancard; les bras ouverts de la femme en rouge qui crie et de surcroît les plus importants visages, dont celui même de la victime, sont tournés d’un même côté du groupe, qui est ainsi nettement privilégié. Les quelques dessins préparatoires qui ont été publiés abordent l’œuvre par là, la bouche qui s’élargit dans le cri, et le fait de ce côté-là, est le point d’orgue de la composition tout entière, aussi déporté soit-il vers la droite – mais celle-ci, on l’a vu, est privilégiée depuis les premières sculptures – et je gage qu’on montrera ou publiera L’Agression le plus souvent sous cet angle, devant un fond noir qui accuse les couleurs et de ce fait participe à l’effet d’ensemble comme un degré zéro du décor, mais nullement son déni. La troisième dimension est là, le sculpteur y a travaillé, y a placé des gestes, des expressions, des regards, mais elle reste de second rang, repliable. Le tableau a moins disparu qu’il ne s’est simplifié dans une sorte de clair-obscur fait pour donner netteté au drame, comme dans la peinture de Caravage.
Yves Bonnefoy
(extrait de Raymond Mason, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris, 1986)