François MENDRAS
Né en France en 1962 - Vit en France
Donald agressif, Mickey probable, arabesque, rosace, motifs ornementaux abstraits, herbes, Phénix multicolore, arc-en-ciel, souris blanche, avion, Chaperon rouge, loup ; il n’est guère aisé de cerner dans l’oeuvre de François Mendras une thématique précise ou même un style reconnaissable. L’artiste en effet zappe sur un registre d’images cathartiques qui implique mémoire personnelle et culture hertzienne. La technique employée est des plus classiques, celle de la cire sur bois, mais avec des procédés variés s’attachant à juxtaposer un travail de peinture maîtrisée à un autre plus naïf et d’une maladresse feinte. Fa presto, réalisme simplifié, propos déviés caractérisent l’hétérogénéité et l’ambiguïté délibérées du propos. Des formes géométriques basiques, rigoureuses, issues de l’art constructiviste ou de l’abstraction lyrique, du gothique et du contemporain, sont désorientées par des représentations facétieuses empruntées à la bande dessinée ou aux contes de fées. Dans le clivage des styles majeur et mineur, dans le mixage des genres, l’oeuvre se construit dans le carrefour de citations où s’entrechoquent autant de références sans liens cohérents apparents : la symétrie et sa brisure, le traitement des sujets et des fonds, la couleur et le noir et blanc, l’horizontal et le vertical, l’échiquier du mythe et du banal.
L’oeuvre de François Mendras renvoie à un protocole onirique, à une technique mnésique et à une rhétorique picturale issue de l’inconscient. Ce cérémonial complexe remonte au jour comme à la surface du tableau sous une lecture parfois puérile, parfois critique, parfois cruelle. Toujours traitée dans la maîtrise formidable de son moyen, cette peinture cadre moins qu’elle ne disperse l’espace mental rationnel et intellectuel, et s’émancipe dans sa construction même de tout style déterminant. Quelques pistes cependant éclairent sur la conception binaire de son vocabulaire. Entremêlant abstrait et figuré, physique et métaphysique, décor et sujet, gestuel et aplat, ces registres tissés recouvrent d’un filé camouflé toute interprétation d’une finalité calculée. On pourrait dire qu’en soi, cette peinture est une exception culturelle qui puise dans le fonds de l’intuition collective. Des images s’échappent d’une pâte de peinture mentale à l’origine insondable. Rien ici de la surface pixel, c’est plutôt une sorte d’angoisse burlesque qui s’évade de la matière picturale et s’agrippe à nos mémoires incarcérées. Bruno Bettelheim affirmait que les contes de fées ne » traumatisent » pas les jeunes lecteurs, mais qu’ils répondent de manière irréfutable aux hantises premières. Dans les peintures en question, cette réponse peut se faire dans un simple motif de fer forgé à une heure de la nuit donnée. Il est possible que l’enfant qui habite toujours chacun d’entre nous ait encore besoin de se purger de ses anxiétés et que l’individu, et que le groupe, transfèrent dans l’actualité les tourments du passé. Stratagème ou non, l’oeuvre de François Mendras affirme et démontre sa conception individuelle d’un réel intemporel. Ces images obsessionnelles régurgitées dans la part inconsciente de la peinture contribuent à alimenter la vision projective d’une modernité collectivement fantasmée.
L’oeuvre acquise par le FRAC Auvergne demeure dans le cadre d’une pure peinture abstraite, ne retenant que peu de la représentation du réel tout en opposant sujet et fond. Des bandes de couleurs noires et nuancées, opaques et strictement accolées, véritables barreaux horizontaux, masquent, s’opposent et s’imposent à un fond de peinture informelle. Sa composition déclenche pourtant une fausse perspective visuelle qui trouve son point de fuite dans un fragment quasi central de peinture libre. La présence de coulures ostensibles indique la position initiale du tableau, tout en préservant sur la gestuelle une forme à la matière d’expression personnelle. » Une peinture doit être appelée abstraite lorsque nous ne pouvons rien reconnaître en elle de la réalité objective qui constitue le milieu normal de notre vie » écrivait Michel Seuphor. François Mendras, par ce tableau construit, démontre que la définition, comme son propos, est plus complexe, autant que les registres qui balisent et rythment cet historique de la peinture. En cela, l’oeuvre valide à elle seule une représentation discursive de la peinture abstraite.
Frédéric Bouglé