MOURAUD Tania
Née en France en 1942 - Vit en France
Tania Mouraud raconte s’être arrêtée un jour au bord d’une route, fascinée par le scintillement au soleil de dizaines de bottes de paille disséminées, emmaillotées par les agriculteurs dans des films de protection pour les laisser mûrir sous la chaleur. Le paysage se reflétait dans un floutage total, diffracté par l’enveloppe plastifiée des balles de paille drapées dans le champ où la sécheresse d’été se dévoilait dans un miroir froissé. Après la moisson des céréales à paille, la culture en jachère a essaimé ses meules marbrant le paysage. Semis de miroirs imparfaits criblant les étendues de chaume coupées à ras, les paquets de couleur vert émeraude, chargés d’exhalaisons, brûlent d’un feu intérieur sous l’éclat du soleil au zénith. La sécheresse s’est retournée en un reflet liquide pour un regard presbyte. On imagine Monet, son œil de cataracte, trahissant les couleurs d’une mare sous l’ornement de pluie d’un saule pleurant sur les berges de Giverny. Il suffisait de voir, de s’arrêter lors d’une promenade à travers la campagne pour être fasciné par ce palais de glaces ternies, pour accéder à l’illusion de ce panorama qui confondait l’étendue des bassins limoneux avec le bleu du ciel. C’est une beauté trouble, tenue par la finesse d’une peau masquant son corps affligé de décoctions impures. Derrière le reflet, sous le plastique, par-delà la surface où s’épanchent les nuages et l’orée d’une forêt, la paille se putréfie, étouffe, se contracte, bouillonne de sucs, d’émanations et de poisons nocifs qui nourriront le sol dès la prochaine saison. Borderland, région frontalière floue entre le frelaté et
le reflet luxueux d’une plaine verdoyante.
Jean-Charles Vergne