Seamus MURPHY

Né en Irlande en 1959 - Vit en Grande-Bretagne

La photographie PJ Harvey, Panjshir Valley, Afghanistan, December 2012 a été prise dans la vallée du Panjshir en Afghanistan par Seamus Murphy, photojournaliste Irlandais dont les images ont remporté sept World Press Photo Awards, reconnaissance ultime dans le domaine du photojournalisme. L’Afghanistan est un pays en guerre depuis quarante ans, sans pratiquement aucune trêve et la vallée montagneuse du Panjshir, située dans le nord, est le lieu emblématique de la guérilla qui fut menée par le commandant Ahmad Shah Massoud contre les soviétiques dans les années 1980, puis contre l’émirat islamiste des talibans à la fin des années 1990. Il sera assassiné par deux membres d’Al-Quaida, en lien avec les talibans, deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001. Aujourd’hui, son fils Ahmad Massoud, âgé de 12 ans lors de l’exécution de son père, a repris le flambeau de la lutte contre les talibans qui contrôlent toujours une partie du pays en dépit des milliards de dollars investis depuis 2001 par le gouvernement américain pour les réduire à néant. Ce rappel semble nécessaire pour prendre la mesure de ce que représente ce paysage jonché de carcasses de chars et de véhicules militaires détruits par les bombes et les missiles, paysage dévasté mais ô combien semblable à certaines représentations contemplatives de la peinture romantique dans le pouvoir de fascination qu’ont toujours exercé les ruines et les étendues ravagées par le temps ou les guerres. Le mauvais œil, ici, se loge dans la fatalité qui depuis des décennies soumet ces contrées aux convoitises de pouvoir et de contrôle de ce territoire stratégique.

C’est en découvrant les photographies réalisées par Seamus Murphy sur l’Afghanistan entre 1994 et 2007 que la chanteuse rock et poète PJ Harvey se met en relation avec le photographe et lui propose de collaborer aux choix iconographiques accompagnant ses deux albums Let England Shake et The Hope Six Demolition Project. Elle l’accompagne durant ses voyages au Kosovo et en Afghanistan ; il documente les étapes qui conduiront la chanteuse à composer l’album The Hope Six Demolition Project à partir des notes qu’elle prend, confrontée à la réalité humaine, politique et guerrière de ces théâtres de conflits. L’album sera enregistré en 2016 à la Somerset House à Londres, dans un studio spécialement aménagé permettant au public d’assister aux répétitions derrière une vitre sans tain. En mars 2020, Seamus Murphy dévoile A Dog Called Money, le documentaire dans lequel il suit PJ Harvey au cours de ses pérégrinations en Afghanistan ou au Kosovo, où la chanteuse a notamment écrit un recueil de poèmes intitulé The Follow of the Hand, inspiré par ces pays. La photographie acquise par le FRAC Auvergne montre l’un de ces moments d’écriture, où PJ Harvey encapuchonnée, assise au milieu de la vallée de Panjshir, prend des notes, comme s’il s’agissait là de dresser un constat du monde. à propos de cette collaboration, Seamus Murphy déclare : « Polly et moi nous nous faisons confiance, assez pour voyager ensemble en Afghanistan ou d’autres pays difficiles d’accès, et de croire qu’elle ramènera de la magie. Elle m’a invité dans un studio blanc avec un vitrage miroir pour filmer tous les moments d’enregistrement des chansons qu’elle a composées. Seul ou ensemble, c’est la réponse à ce que nous avons affronté. » Il faut rappeler, pour finir, qu’étymologiquement, le mot « apocalypse » est la transcription d’un terme grec apokálupsis signifiant « dévoilement » ou « révélation » et que, dans la littérature apocalyptique, le « voyant » qui reçoit ce dévoilement, cette révélation est généralement un écrivain qui, à la différence d’un prophète, consigne ses visions par écrit, en employant la plupart du temps un langage symbolique et codé. Ainsi, la présence de la poète au milieu du paysage en ruines entre-t-elle en écho avec bon nombre de récits archaïques, dans une étonnante survivance de ce type de représentation à travers les âges…

 

La seconde photographie acquise par le FRAC Auvergne, Grand Canal, Dublin, July 2015, se situe non pas sur l’un des territoires de guerre qu’il arpente habituellement mais à Dublin, en 2015. Elle appartient à la série Life in Many Days, avec laquelle Seamus Murphy effectue un retour aux sources avec des travaux très personnels, plus éloignés de l’actualité que les reportages qu’il réalise sur les zones de conflit.

L’image est réalisée une dizaine d’années après la fin du conflit nord-irlandais, un conflit que les deux adolescents qui se tiennent par la main n’ont donc pas connu, contrairement à leurs aînés. Là n’est sans doute pas le sujet d’une telle image, d’une grande beauté, dont la poésie se loge dans ce geste simple et merveilleux, une image sublimée, aussi, par cette bague portée par la jeune fille, une bague qui, déjà, la projette vers un devenir femme. Le conflit nord-irlandais n’est donc sans doute pas le sujet de cette image, mais il n’est guère possible d’oublier Dublin et son passé en voyant l’image de Seamus Murphy.

 

Jean-Charles Vergne