Cyril OLANIER
Né en France en 1956 – Vit en France
Aux premiers instants de ces tableaux, il y a les fenêtres opacifiées de l’atelier, le temps de projeter une photographie sur la toile. L’image mobile à travers l’atelier et ce dernier devenu chambre noire, pour éviter que l’image se dérobe pendant son transfert. Ce qu’il y a au final, après le passage de la peinture ? Une image à la surface. A la surface mais pas déposée sur elle, sous elle plutôt et venant s’y heurter depuis un lointain invisible mais que l’on imagine quelque part dans le volume défini par le châssis épais. La surface comme le lieu contre lequel l’image vient s’arrêter depuis la profondeur du tableau. Pas des tableaux, ni simplement des images, mais à chaque fois une image dans la masse d’un tableau, mobile et captive en cet espace comme un peu plus tôt dans l’atelier.
Car l’effet spécifique de cette peinture vient d’une étrange spatialité. Ce n’est pas la profondeur que pourrait créer le rapport des couleurs – comme Rothko – ou l’étagement de plans dans le motif – ils sont presque toujours absents – mais une manière de faire flotter l’image peinte dans le volume imposé par le châssis. La photographie qu’on devine empreinte dans la peinture n’est pas cet enfant agaçant qui veut encore une fois jouer à « Je me cache / Je me montre ». Elle n’invite pas plus à spéculer sur les rapports de la photographie et de la peinture. Elle se moque de dénoncer la saturation d’images. Elle est la première entaille par où une image commence à prendre dans la masse du tableau, qui définit son espace de jeu. A la peinture ensuite de donner simultanément à l’image son élan et sa limite, sa respiration et son étouffement. Effet d’isolement mobile de l’image dans le tableau, auquel contribue aussi l’unicité du motif (un visage, un corps, une fleur) et sa régulière extension jusqu’aux bordures de la toile.
Des tableaux comme des boîtes à images donc, et non pas comme fenêtre ouverte sur le monde. Avec eux il ne s’agit pas de voir au loin mais de voir les images venir d’un lointain invisible, pourtant situé dans le volume du tableau. Littéralement des télé-visions. Les boîtes à images sous leurs différentes formes historiques (stéréoscopes, appareils de télévision) ont un pouvoir de fascination spécifique qui n’est pas de monter mais de laisser apparaître, à condition de pouvoir l’enfermer, une image qui provient d’un point sans localisation qu’elles contiennent imaginairement. Ces « tableaux » jouent de la même manière. Ce ne sont pourtant pas des dispositifs car cette possibilité de jeu ils la trouvent dans la seule peinture, qui donne ici l’image et sa cage. La peinture n’est pas seulement production d’images mais capacité d’enclore des images naissant en son invisible profondeur.
Jean COLRAT