Gérard PASCUAL
Né en Algérie en 1946– Vit en France
Gérard Pascual est un voyageur immobile. Avec des images découpées, peintes, dessinées ou photocopiées, des polaroids, toute sorte de fragments d’objets trouvés ou fabriqués… il met en scène une sorte de grande épopée dont le caractère elliptique nous dérobe sans cesse la signification. Pour s’exprimer il a choisi la « miniature ». En elle tout se concentre, permettant d’appréhender l’intimité des phénomènes de la vie, leur secret. Gérard Pascual ne craint pourtant pas les grands espaces. Il nous le prouve en juxtaposant sur les murs et le sol ses parcelles d’histoires, comme autant d’éclats qui se télescopent et envahissent les cimaises. La première vision est en quelque sorte panoramique et kaléidoscopique. Vu de près, le minuscule devient terriblement grand. Peut-être l’homme du désert a-t-il la même sensation lorsque ce point immobile à l’horizon devient palmeraie grouillante de vie après de longues heures de marche. Comme tous les nomades, Pascual n’a besoin que d’une petite valise pour contenir sa panoplie d’histoires qu’il déroule ensuite, épingle et couche là où il se trouve.
Et tel un campement qu’il fa ut démonter à l’heure de la transhumance, ses installations sont provisoires ; et si fragiles, si légères que l’artiste pense que sans doute, elles ne lui survivront pas.
Gérard Pascual ne croit plus à l’originalité dans la peinture. Il la considère comme une terre épuisée qui « radote » un peu. L’œuvre de n’importe quel artiste aujourd’hui, fait référence. Alors il a choisi comme mode d’expression la citation, qu’il tourne en dérision. Il broute çà et là sa nourriture, et c’est donc tout à fait consciemment qu’il puise dans l’histoire de l’art, la mythologie, la bande dessinée, l’imagerie populaire, la publicité, d’autres cultures… Pas vraiment pour se débarrasser d’un bagage culturel trop lourd, d’une mémoire trop encombrante ; plutôt parce que c’est là, de toute façon, et qu’il n’a pas la prétention d’innover. Pourtant le mixage, le syncrétisme, la rencontre des références produisent autre chose de tout à fait insolite, une sorte de méta-langage. Toutes les frontières sont abolies (temps, espace. Logique) ; le quotidien le plus banal peut jouxter la reproduction d’une œuvre célèbre (en utilisant « la peau des images » pour souligner que c’est la seule chose qui nous reste de la peinture, outre le plaisir de la faire) ; elle-même est mise en danger par une autre image qui vient l’altérer, en brouiller le déchiffrement. Jouer avec la réalité et la fiction, perturber la lecture, la rendre floue, énigmatique, telle est la constante de cette œuvre. Transparences, miroirs, ombres, reflets, présence simultanée du plein et du vide (volume en creux), dédoublements, renversements, glissements … Tout concourt à nous égarer.
C’est un continuel jeu de cache-cache entre la forme et le sens, le faux et le vrai. Chacun, tour à tour, accroche l’attention. Et cette alternance, cette duplicité, cette vérité à deux faces, nous interpellent par leur ambiguïté. Ici, le sens est arbitraire, imaginaire. Les signes sont familiers mais leur assemblage donne des phrases absurdes. Seul le titre, le plus souvent métaphorique, peut nous servir de guide. Mais le langage reste trouble, et au-delà du visible immédiat, l’histoire s’évapore comme un mirage. En décrochant les scènes du mur grâce aux épingles, Gérard Pascual les isole, les détache de la réalité, du palpable, les laisse flotter entre terre et ciel. Il a toujours ce besoin de sortir du cadre, de se libérer de sa structure contraignante, de déborder. Son territoire ne se laisse pas clôturer.
Le parcours de cette œuvre n’est cependant pas hermétique. Sa mobilité n’est pas le fruit du hasard. L’itinéraire est ici jalonné d’éléments stables, de repères. Le sel, la pierre, la chaise, la maison, l’échelle, la spirale… reviennent fréquemment, et Pascual a parfaitement conscience de l’efficacité symbolique de ces objets ou formes simples. Il en connait le sens secret. C’est par eux qu’il tente de se relier à l’essentiel et de capter la vérité qu’ils véhiculent à travers les âges et les peuples. Il parle souvent de la nécessité d’un ressourcement pour favoriser des retrouvailles avec un contenu spirituel, soit en empruntant la voie du symbolisme, soit en puisant dans d’autres cultures: l’énergie indispensable pour réalimenter le substrat de l’art. Lorsqu’il travaille, Gérard Pascual suit deux ou plusieurs, « pistes » à la fois. Il mène une double vie, comme si une partie de lui-même était restée là-bas, à Alger, au bord de la Méditerranée, cette mer qui revient sans cesse comme une vague dans son œuvre… malgré les champs et les forêts de sapins qui l’entourent.
Françoise Bataillon
(in Intensités Nomades, Musée Fabre, Montpellier, 1986-1987)