PLATINO

Né en Allemagne en 1948 – Vit en Allemagne

Après deux années de philosophie, de sociologie et de sciences politiques, Platino s’oriente vers les arts plastiques en 1970. Sa pratique, tout d’abord marquée par la peinture et la sculpture, se focalise sur la performance pendant deux ans, de 1977 à 1979. C’est durant cette période que vont progressivement se définir les éléments constitutifs fondamentaux d’un projet sans précédent que Platino intitule Red Space.

A partir 1977, on constate chez Platino une utilisation de plus en plus exclusive de la couleur rouge. Lui-même s’intègre dans cette dynamique d’un « colorfield » global en s’habillant toujours avec des vêtements de cette couleur en vivant dans un environnement d’objets de la vie quotidienne rouges, puis en peignant certaines parties de son appartement en rouge, à Stuttgart. Cette expérience, Red Space, est une suite logique de travaux antérieurs de l’artiste, prolongeant ainsi une relation toujours souhaitée avec le public et le lieu de vie considéré comme espace de monstration et, par extension, comme œuvre. Ainsi, Platino entreprend de transformer radicalement son appartement de 60m2 en fonction de ses expériences avec la lumière, la couleur, les matériaux, les caractéristiques et les effets de ces derniers. Les quatre pièces de l’habitation sont vidées de leur mobilier à l’exception de l’indispensable ; les murs sont recouverts de peinture rouge, transparente pour les fenêtres, de sorte que l’ensemble devienne un continuum rouge. La présence de Platino dans Red Space découle d’une volonté de faciliter au spectateur une approche réelle de l’œuvre, une sorte d’invitation pour tout le monde impliquant le visiteur dans une logique de l’esthétique relationnelle.
En 1983, Platino change d’appartement pour une habitation de 220 m2 qui autorise un développement plus intense de son expérimentation. Baptisé Red Space 2, le projet est accompagné à partir de 1988 de la réalisation de grandes photographies, les Externs, dont l’objet est d’offrir une exportation à l’extérieur des volumes spatiaux intérieurs. Représentant des bribes architecturales de l’appartement de Platino, les Externs, dont sont issus Extern 44 et Extern 48, ont pour fonction de jouer avec les espaces architecturaux de l’extérieur. Pour se faire, les photographies sont disposées à même le sol et entretiennent une relation étroite avec leur lieu d’exposition grâce aux reflets de ce dernier sur le Plexiglas recouvrant les photographies. Ainsi, l’architecture extérieure vient coïncider avec celle des reproductions de l’appartement de Platino. L’extérieur se soumet à l’intérieur, et inversement. L’image et la réalité sont dès lors interchangeables, peuvent se concurrencer, se dissoudre, s’effondrer : le spectateur lui-même se trouve dans une situation de glissement, ne sachant plus quelle place il doit accorder à son reflet dans l’œuvre : simple reflet, présence suggérée dans l’œuvre ou présence virtuelle dans Red Space 2.
Il faut également s’interroger sur le véritable statut des Externs car ils sont à la fois les témoignages d’une œuvre préexistante (Red Space 2) et œuvres à part entière. Si l’on songe à l’héritage du Merzbau de Kurt Schwitters pour Red Space et Red Space 2, on pense de même à l’influence de Brancusi utilisant la photographie comme moyen pour guider l’accueil de ses œuvres. Quant à l’utilisation de la couleur, certaines corrélations sont envisageables avec Henri Matisse et les expressionnistes abstraits Mark Rothko et Barnett Newman, qui ont tous trois beaucoup inspiré Platino.
En définitive, il faut s’accorder pour intégrer Extern 44 et Extern 48, ainsi que tous les Externs au sein d’un projet global, débuté en 1977 et poursuivi depuis, et dont le fondement essentiel reste la perception multiple d’un espace particulier celui de l’artiste, orienté vers une réflexion engageant à la fois la peinture, la sculpture, l’architecture et la tentation de faire d’une vie et de son environnement une œuvre totale.

Jean-Charles Vergne