Marina RHEINGANTZ
Née en 1983 au Brésil. Vit à São Paulo, Brésil.
Les peintures et les broderies de Marina Rheingantz se nourrissent de la remémoration des paysages brésiliens, des souvenirs de la compacité de la terre, de la lumière et de ses variations, du nébuleux atmosphérique des crépuscules, de la dissémination pointilliste des oiseaux dans le ciel, du surgissement en grappes de fleurs et d’arbustes, de monticules émergés à la surface des plaines inondées…En regardant ses peintures pour la première fois, quelques mots se sont manifestés avec entêtement. Les premiers furent arrêté sans être fixé, pour qualifier la manière dont cette peinture oblige à une mise à l’arrêt du regard, une mise à l’arrêt simultanément contrariée par l’écarquillement visuel impulsé par le feuilletage de plans et de motifs, par les plongées aériennes d’étendues sans horizon parsemées de motifs en suspension, d’agglomérats de lumière, de poussières, de phosphènes, de nuées d’éphémères microscopiques, pailletées de particules de réel figées en apparence et pourtant toujours mouvantes. Le regard est mis aux arrêts, littéralement mis en détention, stoppé dans son arpentage par la résistance de la peinture, par la compacité de sa surface, par la trame de motifs et de signes qui en parsèment les aires et s’y superposent comme des filtres ajourés. Le regard est à l’arrêt, sans être fixé – à l’arrêt comme un animal se met à l’arrêt, toujours en puissance de mouvement prompt, toujours aux aguets. Arrêté sans être fixé, c’est ainsi que pourrait être nommé le régime du regard happé par ces surfaces parfois vastes, toujours glissantes, toujours glissantes mais scandées par la pulvérulence des motifs, par leur éparpillement en nuées, motifs en nuées mais suffisamment agglomérés et prégnants pour arrêter le regard, sans le fixer. Le regard est arrêté, passé par le crible d’un champ chromatique dénué de perspective, le regard est arrêté sans être fixé dans le sublime d’un espace sans limites ni horizon, criblé de motifs épars qui piègent la vision en lui impulsant immédiatement ses déplacements suivants. Blocage et échappée, tout à la fois.
Quiconque a déjà observé, le soir, les stupéfiantes nuées d’étourneaux sansonnets évoluant en volutes serrées dans le ciel alors qu’ils se regroupent pour se percher dans les buissons de roseaux et les arbres, quiconque a déjà vu ce spectacle qui porte aussi le très beau nom de « murmure », peut déceler dans Starlight une analogie naturelle avec la poésie puissante de ce phénomène agraire. Pluie stellaire, essaim pictural soulevé par un souffle circulaire, Starlight pose sur le fond nocturne de son étendue le voile ajouré d’un murmure lumineux animé de multiples forces internes, déflagrations minuscules, cyclones de poche, dépressions d’air, anticyclones de pacotille mus néanmoins par la puissance des tornades cosmiques. Le regard butte, traverse, revient, se renverse, frôle ce qui pourrait être le sol, est aspiré par la colonne de photons semblables à des lucioles en parade amoureuse, butte sur un empâtement fuchsia-blanc-noir-ocre au pied d’une arborescence végétale à peine dévoilée, est aspiré encore, s’échoue sur la toile, le long de la toile, trouve là les centaines de petits points blanc-rose-noir-fuchsia qui parsèment et quadrillent la surface du tableau, tels les marquages d’un canevas, dans une répétition du tramage des broderies de l’artiste.
Jean-Charles Vergne – Extrait du texte «Arrêté sans être fixé», Catalogue de l’exposition, FRAC Auvergne, 2021.