Analia SABAN
Née en Argentine en 1980 - Vit aux Etats-Unis
Californienne d’adoption, Analia Saban mène un travail qui détonne sur la scène artistique de Los Angeles, abonnée aux œuvres surréalisantes ou exubérantes des Paul McCarthy, Jim Shaw ou Jason Rhoades. Et, s’il faut trouver une ascendance historique à cette toute jeune Argentine, née en 1980, c’est sans doute vers l’Europe qu’il faut se tourner, quelque part entre Support/Surface et l’Arte povera, en tout cas vers ces mouvements qui décomposent tout dans la peinture : le geste, la notion de chef-d’œuvre, la patte de l’auteur, mais aussi la tenue du tableau, son unité, sa consistance. La preuve avec ce tableau Composition #2 (2006) où la peinture acrylique ne tient au tableau que par des petits bouts de scotch. Et ne se présente en outre que sous la forme de petites touches épaisses, caricatures des coups de pinceaux expressionnistes réduits ici à des pattes de mouches. Manière très crue (et très pauvre dans ses moyens) de déconstruire la peinture, ce collage un peu grossier semble aussi vouloir la panser, et en recoller les morceaux à une époque où il ne reste plus grand chose des avant-gardes artistiques. Ce n’est pas un hasard du coup si l’ensemble du travail d’Analia Saban est conçu comme une entreprise culottée et pas dépourvue d’humour de réinterprétation des chefs-d’œuvre de la peinture. Culotté parce que de Guernica au Carré noir, aucun chef-d’œuvre n’est trop intimidant, trop solide, pour échapper à ce travail de sape, ou de démontage. Guernica réinterprété se présente ainsi sous la forme d’une pelote de bandes de toile peinte, et de lattes de bois comme si l’œuvre de Picasso était rangée au placard. Une insolence réjouissante qui met en crise surtout l’idée du chef d’œuvre en renvoyant le tableau à sa matérialité en feignant de dire : voilà Guernica ; de la toile et du bois, une œuvre désactivée et défaite, à refaire et à remettre sur le métier. « J’aime prendre du recul et regarder un matériau pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’on voudrait qu’il soit, avoue ainsi l’artiste. Je vois une image comme une accumulation de points, une vidéo comme une séquence d’images indépendantes les unes des autres et un dessin comme des milliers de lignes regroupées ensembles. Quand je vois une peinture sur toile, j’essaie de dépasser sa composition picturale et de penser au côté physique de sa composition. Je vois une accumulation de peinture dans une centaine de fils entrelacés, que je peux alors défaire et transformer en une pelote de fils ». Des pelotes en effet il y en a pléthore dans son œuvre. Nommées comiquement des Painting Balls ces grosses boules de toiles roulent en quelque sorte dans la farine les genres traditionnels de la peinture : si on en croit son titre, l’une d’elle regroupe ainsi 48 toiles abstraites, 42 paysages, 23 natures mortes, 11 portraits, 2 scènes religieuses et 1 nu. Une liste qui prouve qu’Analia Saban ne mène pas seulement un travail de déconstruction mais aussi quelque chose comme un archivage irrévérencieux ou une mise en boule de l’histoire picturale. En d’autres termes, elle fait drastiquement de la place en mettant tout le monde dans le même panier. Ce faisant elle met à mal la singularité de l’artiste, et fait de la peinture une pratique plus collective que jamais. D’où cette autre composition, où elle entremêle des lignes empruntées l’une à Kandinsky, l’autre à Klee, puis à Matisse, Miró, Picasso, et Twombly. Résultat selon elle : une composition en forme de ready-made : les coups de pinceaux appartiennent à tout le monde. De même, Composition #2 (2006), avec ces petites pièces rapportées, scotchées sur la toile comme des post-it, ressemblent à un cadavre exquis collectif et toujours en cours de réalisation.
Judicaël Lavrador