Christine SAFA

Christine Safa a peint ces tableaux quelques mois après un séjour passé sur l’île de Paxos, en Grèce. Devant elle, l’île de Corfou dont les reliefs dessinent les contours d’un corps allongé détaché sur le ciel. Comme la cathédrale de Rouen de Claude Monet, la montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne ou le Mont Tamalpaïs d’Etel Adnan¹, Corfou n’est pas l’île de Corfou telle qu’elle se donne à voir. Ni sa géologie, ni son exotisme de mer ensoleillée n’ont déterminé les peintures de ce relief insulaire mais plutôt l’éloquence, une façon de toucher la superbe de la couleur de l’air et l’intensité des heures vécues à contempler Corfou depuis l’île de Paxos. La montagne calcaire coiffant l’horizon n’a pas été peinte sur le motif mais d’après des esquisses à l’aquarelle, après que le souvenir de la montagne et de ses ombragements, du ciel et de ses brumes à peine évanouies se soit évaporé, laissant subsister une imprécision du ciel, de l’île, de la montagne, du temps qu’il fait, du temps qui passe. Du souvenir demeure une mémoire incertaine mêlant, aux bribes de formes et de couleurs, un entremêlement de sensations. Brise venteuse, chaleur solaire, cris d’oiseaux, éblouissements, bruissements d’arbres, clapotis de vagues s’ajoutent aux pièces d’un puzzle visuel à reconstituer. La réussite d’une peinture de paysage n’advient pas dans les formes les plus fidèles au visible. C’est dans la réduction, dans l’imperfection, dans le gauchissement, plus approximatifs mais plus authentiques, que la peinture peut offrir des étendues qui deviendront les nôtres. Ce qui importe n’est pas l’île de Corfou dans sa véracité mais ce qui a été vu depuis, le mot devant être lu dans sa portée géographique comme dans l’indication du temps qui a passé. L’île est vue depuis Paxos ; l’île est peinte depuis le souvenir de l’île. Un ciel de rouille enveloppant la montagne dans une rugosité, de larges touches de vert pour fixer l’impression avant qu’elle ne s’enfuie. Le contre-jour sur les flancs escarpés, un bleu turquoise sur un bronze patiné, l’émeraude éteint de l’eau, les cernes de pourpre sombre d’un jour se finissant.

Jean-Charles Vergne

1– Etel Adnan, avec laquelle Christine Safa était liée affectivement et artistiquement. Voir également, Jean-Charles Vergne, « Etel Adnan », Le Promontoire du  songe, Clermont-Ferrand, FRAC Auvergne, 2022, p. 56.