Antonio SAURA

Né en Espagne en 1930 – Décédé en 1998

Crucifixions, nus convulsifs à la sexualité agressive, portrais aux déformations expressives, toute l’œuvre de Saura tourne autour d’une exploration singulière de la figure humaine. Tout en faisant référence de manière extrêmement lisible à la plus haute tradition de la peinture espagnole, celle qui passe par Vélasquez, Goya et Picasso, c’est cependant d’un geste iconoclaste qu’il s’affirme face à l’autorité des maîtres. Jeu incessant et contradictoire entre fascination et obsession de destruction, le coup de pinceau rageur de Saura met à mal ce qui fut sans doute un corps emprunté à Goya, une figure chère à Picasso ou le corps torturé d’un Christ. « Modifications, transformations, superpositions, peintures, sur peintures… », dit le peintre, « il ne s’agit pas de l’addition fantasmagorique de nouveaux éléments à une base respectée, mais de l’emploi de l’image existante comme source de suggestions, comme existant ». A partir d’une gamme chromatique très réduite qui crée l’unité de son œuvre, Saura couvre et découvre à la fois, caricature et magnifie, salue l’histoire de l’art et la réfute. Il nous livre surtout une aventure personnelle passionnée qui met au défi la peinture d’exister, la sienne dans le temps où nous sommes.

« Pour Saura, faire un portrait c’est montrer le modèle comme l’anamorphose qu’en reflète un miroir, c’est donner à voir le gribouillage organisé à quoi sa forme, comme toute forme, se réduit, c’est mettre en valeur le pattern de sa genèse : n’importe quel pâté d’encre, pourvu qu’il soit double ou symétrique, se transforme en yeux et nous regarde ; sous ceux-ci, n’importe quel tracé circulaire s’apprête à nous dévorer. C’est aussi ouvrir à la peinture le champ de ses propres déviations, de ses marges ; d’où le fait que, pour Saura, le portrait par excellence soit celui de Goya et le tableau avec lequel il dialogue le plus volontiers celui de son chien, tableau à la limite de la figuration et, peut-être, de la logique figurative, au seuil de la peinture : là prend fin la couleur – un pas encore et tout est noir, annihilé, sans texture – mais aussi la raison, le lisible.
Les portraits de Saura sont les traces visibles de mots imprononçables. Amplifiés par le noir de la chambre d’écho, de la chambre obscure, les modèles font « émerger », baignés qu’ils sont par la lumière carbonisée et sa violence de cendre, le hiéroglyphe de leur mort : comme la réverbération nocturne d’un visage, ou l’empreinte vide de celui-ci dans le basalte, traces à l’affût de l’instant où le corps retrouverait sa place initiale ».

Severo Sarduy