Alain SECHAS

Né en France en 1955 – Vit en France

Alain Séchas pratique une œuvre protéiforme mêlant inextricablement la vidéo, le dessin, la peinture, la sculpture, l’installation, la musique et maniant avec une grande virtuosité le cynisme, l’ironie et l’humour, se jouant du regard du spectateur, du contenu apparent des œuvres, de l’hésitation de tout un chacun à lire son travail au premier, au second ou au énième degré. La force d’Alain Séchas est d’être parvenu à imposer une œuvre des plus étonnantes, des plus atypiques dans le champ artistique actuel, aussi déroutante d’un point de vue purement formel que dans sa sémantique très personnelle.
Revendiquant dans son travail l’omniprésence d’un « pessimisme actif », Alain Séchas évoque souvent le caractère funèbre du monde au travers d’une forme de violence très particulière : violence du professeur sur l’élève dans Professeur suicide (1995), du père sur les fils dans Les Papas (1995), du naturel sur l’humain dans Les Fleurs carnivores (1991). Cette violence latente inscrite dans l’espace social se travestit sous la forme d’œuvres aux formes molles et simplifiées, généralement blanches, orientant de prime abord le jugement critique vers une interprétation humoristique et légère très vite contrariée par la teneur des thèmes abordés. La thématique violente de ces pièces, qui parfois versent même dans la vulgarité (voir Les Silhouettes – 1991), s’explique par un sentiment d’urgence qui le « conduit à raccourcir la distance entre des motifs d’angoisse […] intime et les différentes expressions publiques de cette violence telles qu’elles apparaissent, par exemple, aussi bien dans la Bible que dans Le Journal du Dimanche ».

La quasi-totalité des pièces d’Alain Séchas sont réalisées en polyester puis peintes à l’aide d’une couleur blanche satinée pulvérisée au pistolet qui lui permet d’obtenir une surface lisse et uniforme, dégagée de toute forme de pathos matériologique. La Pieuvre est une des œuvres les plus monumentales qu’Alain Séchas ait réalisé. Elle développe une action mise en scène dans une boutique de joaillerie fictive. Une pieuvre, accompagnée d’un personnage ectoplasmique, en haut de forme et nœud papillon noirs, essaye des bagues serties d’imposants diamants polygonaux (en plexiglas). En face d’elle, un bijoutier fantôme derrière son comptoir lui présente les bijoux, subjugué, hypnotisé par le regard fatal de la belle qui en profite pour dérober des diamants dans un coffre-fort et les passer à ses complices, à l’extérieur. Les complices, six fantômes dont un attend dans une voiture prête à démarrer en trombe, sont répartis autour de la bijouterie délimitée par un polygone de Plexiglas. Au service de cette pieuvre mystérieuse en lévitation, ils tendent les bras afin de récupérer le butin de ce cambriolage organisé.

Cette œuvre, très impressionnante par sa taille et par l’investissement spatial qu’elle implique, propose une multiplicité de lectures. La présence d’éléments baroques (comme le chapeau haut de forme, le nœud papillon ou la cravate noirs) donne à la scène un côté faussement festif, effet renforcé par la brillance luxueuse des diamants. Il s’agit d’un vol caractérisé et l’on pourrait imaginer que le spectateur joue le rôle de témoin surprenant les malfrats en flagrant délit. Mais si les fantômes portent leur vénalité sur les diamants, le spectateur ne résiste pas à l’attirance de l’œuvre, dont le centre polygonal à la même forme que l’objet du larcin.
Dès lors, Alain Séchas élabore une véritable économie du regard, où la spéculation est moins orientée vers les diamants que vers l’attitude du spectateur. Ce dernier, en circulant dans l’œuvre, en s’immergeant en elle, participe à l’action. Il est l’objet d’une réification et disparaît en tant que public de l’œuvre. Le cambriolage opéré par Alain Séchas devient alors le cambriolage du sens, son détournement par une pieuvre dont la symbolique maffieuse joue, évidemment, un rôle prépondérant dans la manière d’envisager cette œuvre. Omnipotence d’une pieuvre dont la puissance tentaculaire lui permet d’agir au vu et au su de tous, omnipotence d’une entité qui tiendrait de la mafia, d’une mafia sereine, d’une mafia pouvant être tout autant économique que … culturelle.

Jean-Charles Vergne