Pierre SOULAGES

Né en France en 1919 – Décédé en 2022

De la campagne des environs de Rodez, Pierre Soulages gardera une sensibilité marquée par les éléments du paysage, la pierre, la terre, les arbres. De cette région, lui restera aussi le souvenir des villages, des églises jaillies du sol, où la pierre acquiert une sorte de spiritualité. C’est en partie de là qu’est née son envie de peindre pour tenter de restituer à travers sa propre création l’émotion que lui suggère le minéral et le végétal.
Sa formation artistique est décousue. D’abord autodidacte, il saisit ensuite la possibilité de rentrer aux beaux-Arts de Montpellier, mais y reste peu, car il s’en sent déplacé. Ce n’est qu’en 1946, installé près de Paris, qu’il peut se consacrer à la peinture. Ses toiles sont déjà abstraites, noires ou parfois brun foncé, peintes au brou de noix en larges traces sur un fond blanc. Ce n’est pas une peinture gestuelle et violente, mais une recherche pour créer un espace rythmé et animé. Ses compositions très austères, l’absence de référence à toute figuration ne favorisent pas, dans les années cinquante, la reconnaissance de son œuvre ; il reçoit pourtant le soutien d’artistes comme Picabia ou Hartung. Vers 1955, les traits s’épaississent, les coups de brosse se juxtaposent, ce n’est plus une ligne que le spectateur doit suivre mais un ensemble qui se livre d’un coup, qu’il faut appréhender d’un bloc. Au cours des années soixante, des raclures dans les couches d’empâtement laissent parfois apparaître des couleurs, souvent si sombres qu’elles semblent seulement vouloir se soumettre au noir et renforcer sa puissance.
Après 1960, l’intérêt de sa peinture commence à être reconnu, surtout à l’étranger, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne. Ses compositions sont alors très vastes et massives, tendant à une certaine monumentalité. Puis dans les années soixante-dix, le trait se régularise, les lignes se clarifient. Ses dernières œuvres, où Soulages aboutit à la monochromie, sont structurées par de très larges empâtements que les poils de la brosse ont striés en multiples rainures d’où naissent des traits d’intensité lumineuse qui varient lorsque le spectateur se déplace devant le tableau. C’est une monochromie dynamique, à degrés variables, qui refuse d’être une proposition unique et définitive. L’usage du noir et les larges empreintes de brosse sont des aspects persistants de l’œuvre de Soulages, dont la quête rigoureuse et sereine, quasi-mystique, suggère une force maximum avec un maximum d’effets.
Cette toile se trouve à la charnière de deux périodes de l’artiste. On y retrouve les effets de contraste entre des zones presque transparentes où la matière semble fluide, et des lignes épaisses et opaques ; cette opposition de matières est caractéristique des peintures et des bronzes de cette époque. L’empâtement des lignes, où les stries créées par la brosse dans la matière picturale, font naître avec l’aide de la lumière une variation chromatique qui, à partir du noir le plus profond jusqu’à un presque-gris, fait apparaître toute une gamme intermédiaire. C’est déjà l’annonce des recherches postérieures du peintre au cours des années quatre-vingt.

Nicolas Chabrol