Jeanne SUSPLUGAS

Née en France en 1974 - Vit en France

La pratique de Jeanne Susplugas est polymorphe puisqu’elle intègre objets, installations, dessins, vidéos et photographies – même si la création d’objets tridimensionnels est quantitativement plus importante dans sa production.

Dans un entretien avec Stéphanie Serra, elle définit de manière lapidaire ce qui réunit ces différentes pratiques : « L’addiction est au centre de mon travail. J’observe la manière dont le monde nous aliène un peu plus chaque jour et nous lie à de nouveaux désirs déclenchés par l’Internet, la dictature du « Sans matière grasse » – titre de l’une de mes œuvres de 2005 – et d’autres critères esthétiques. Cette aliénation quotidienne est présente dans quelques-unes de mes œuvres dans lesquelles l’obsession cosmétique finit par devenir ridicule une fois que son absurdité a été révélée (What is that makes today’s people so different, so attractive?, 2003). (…) J’essaie de représenter une société occidentale souffrant de sa boulimie informative, malade de sa surproduction, rassasiée et sur le point de s’étouffer1 ».

Il s’agit bien de montrer et de dénoncer et, pour ce faire, l’artiste produit des pièces lisibles, extrêmement lisibles comme dans Mass Destruction (2007) où un chemin de boîtes de médicaments est écrasé par un rouleau compresseur faisant ainsi référence à la destruction par les douanes de faux médicaments. Ses pièces empruntent autant au design et à la communication qu’aux formes habituelles de l’art contemporain, comme le néon (Addicted, 2002 ou L’aspirine est le champagne du matin, 2009), le diaporama (Erreur fatale, 2002), les boîtes lumineuses (Boîte de déception, 2005), le poster (Drive Thru Pharmacy, 2008)…

La série Ordinary Landscape, à laquelle appartient l’œuvre du FRAC Auvergne (issue de la donation de Marc et Anne-Marie Robelin en 2016), diffère en cela des pièces de l’artiste. « Simple » photographie – mais ce n’est pas la seule dans la production de l’artiste – loin des formes dites contemporaines, elle est, également, peu « lisible » et réfute la transparence habituelle des pièces de l’artiste, ce qu’elle évoque dans un entretien : « Mes séjours à Berlin ont renforcé la dimension méditative, contemplative et énigmatique de mon travail. C’est particulière évident dans la série de photographies que j’ai appelée Ordinary Landscapes. Grâce à la macrophotographie et à l’agrandissement, des détails de la vie deviennent des paysages, dans la lignée du romantisme allemand !2 » Et si l’entretien se poursuit par « Ces paysages appellent des sentiments très simples tels que la tentation de fuir la frénésie du monde actuel3 », il est tout de même peu sûr que le spectateur éprouve cette sensation devant les œuvres de cette série – il est plus probable qu’il tenterait de trouver quel est l’objet à la base de cette photographie, ce qui n’est pas fondamental dans la perception de l’œuvre. Objet purement esthétique, délivré du discours, obtenu par un procédé de déréalisation simple (la macrophotogoraphie), Ordinary Landscape est, plus simplement, un appel à l’imaginaire – et principalement l’imaginaire enfantin –, cet imaginaire qui nous permet de voir dans quelques glaçons des icebergs et, dans un morceau de sucre, un monument. Œuvre dérisoire, elle fait du dérisoire l’essentiel de la fondation de notre psyché dans la possibilité que nous avons de transformer les formes, de lire autrement les éléments qui nous entourent.

Éric Suchère

1- « Pills, addiction and art according to French artist Jeanne Susplugas », dans BeObjective, février 2010, p. 46 (traduction de l’auteur).

2- Michèle Robecchi, « Life as a house », dans Expiry date, works 1999/2007, Paris, Achibooks + Sautereau éditeur, 2007, n. p.

3- Ibid.