Claude TETOT

Né en France en 1960 - Vit en France

La peinture de Claude Tétot est une peinture qui provoque un fort impact physique donné principalement par la saturation de la couleur, sa quantité, la relation entre cette quantité et le format du tableau, le nombre réduit de formes, les contrastes brutaux entre ses éléments… Elle est, pour résumer, une peinture efficace, mais, dans cette efficacité, certains éléments dérapent, des formes sont cassées, des registres antinomiques coexistent, des dysharmonies colorées sont présentes. Ainsi, dans la peinture du FRAC, le passage entre l’aplat bleu sur le côté gauche et la forme en réserve traversée d’obliques multicolore ou le rapport entre la grille sombre dans la partie gauche et l’écoulement verticale central rose ou le rapport, sur le côté droit, entre le trapèze gris et le rectangle vert.

Dans la peinture de Claude Tétot, l’espace est troublé et l’on ne sait plus très bien ce qui vient en avant ou en arrière, ce qui vient sur une forme ou ce qui vient la trouer et si cette peinture semble plane, des éléments peuvent simuler une profondeur et un plan peut être rabattu brusquement. L’espace n’est ni véritablement bidimensionnel, ni tridimensionnel, ni frontal, ni illusionniste. Aussi, on peut penser que cette peinture joue d’abord avec les espaces, simule des espaces, s’amuse de nos habitudes perceptives, établit un monde de simulations. Ainsi, dans la peinture du FRAC si l’on situe clairement les bandes obliques multicolores derrière la surface bleue, il n’est pas tout à fait sûr que la grille sombre soit elle-même derrière ce bleu et la situation spatiale de l’écoulement rose n’est pas vraiment définie.

Si cette peinture convoque des espaces hétérogènes c’est par la surface, par la coexistence de typologies de surface comme il peut y avoir, dans la même toile, des surfaces opaques, transparentes, modulées, en aplats, coulantes, méticuleuses, repassées, lentes, brossées rapidement… et ces typologies renvoient à des registres styliques (expressionniste, géométrique, minimaliste) ou à des registres sensitifs (froid, chaud, lisse, liquide) connotés. On pourrait donc dire que cette peinture fait agir des rhétoriques minant la question de l’œuvre d’art comme lieu de l’expression d’une vérité du sujet ou du monde et qu’elle n’est qu’une compilation non signifiante, un collage ou un montage ou un mixage et qu’il est avant tout question du rapport entre les éléments, du passage entre ces éléments et que les passages se font aussi bien dans la continuité que dans la discontinuité, dans la dérive que dans la bifurcation et que chaque interruption, dérive ou bifurcation nous amènent à lire autrement le tableau, à reformuler la manière dont nous l’interprétons comme les différents registres, en coexistant, se contaminent. Ainsi, dans la peinture du FRAC la géométrie des obliques multicolores rentre en conflit avec l’expressionnisme de la grille sombre qui elle-même vient s’opposer à la distance schématisée des courbes orangées en drapés qui pénètrent froidement dans la modulation grise aux accents plus sensuels.

S’il y a contamination d’une surface par une autre, il y a, également, une contamination des surfaces par le monde comme on ne peut s’empêcher de lire ces surfaces par analogie, que le spectateur peut lui-même lire ces formes abstraites comme étant des dérives, d’autres dérives, de formes naturelles ou de formes artificielles extra-picturales et la peinture de Claude Tétot s’amuse de ces glissements où le monde visible semble être stylisé à l’extrême et où les formes activent la pensée analogique même s’il ne s’agit, après tout, que de surfaces qui ne demandent pas à être nommées, qui ne gagneraient rien à être nommées dans un tableau qui est résolument abstrait, qui opère sur des qualités et des relations et non sur la réalité. Mais, après tout, n’est-ce pas sur les qualités et les relations que nous lisons en partie le réel ?

Eric Suchère