Agnès THURNAUER

Les tableaux d’Agnès Thurnauer sont des zones d’expérimentation. Il n’y a dans leur origine ni point de départ précis, ni prémisses. L’acte de peindre commence simplement avec un morceau de tissu que l’artiste déploie sur le sol de son atelier. La forme qui est produite de cette façon « ouvre l’espace pour la peinture ». Les éléments qui viennent se déposer petit à petit dans cet espace s’y intègrent tout naturellement jusqu’à ce que leur rencontre fasse sens et devienne significative. C’est seulement à ce moment là que l’artiste décide de faire évoluer le contenu ainsi transformé en tableau, ou y renonce.
Très loin d’être une artiste abstraite, Agnès Thurnauer puise beaucoup d’idées de ses tableaux dans l’iconographie des maîtres anciens. « Mais ce répertoire n’est pas contraignant, au contraire. Il s’ajoute à la sensibilité du temps dans lequel je vis, se confond avec lui, lui répond » dit-elle en soulignant ainsi l’importance de son environnement immédiat en tant que source d’inspiration. « Tout ce qui est dans l’atelier pendant le travail peut passer dans le tableau, les gravures de Martin Schongauer comme ce qui sort du poste de radio. L’espace de la toile est, de toute façon, un espace de notation : tout ce qui fait partie de l’élaboration du tableau à un moment donné le transforme ». Pour Agnès Thurnauer la peinture est un lieu de collision entre tout ce qui arrive de « l’extérieur et de l’intérieur ».
Ainsi les dimensions du tableau ne sont-elles jamais définies à l’avance : les bords du tableau ne sont qu’une partie d’un tout et peuvent se transformer librement pendant le processus de travail. Le choix des matériaux suit la même logique. Si la combinaison de morceaux de papier, encres, pigments, liants, feutres, markers et différentes sortes d’adhésifs peut paraître à première vue hétérogène, leur réunion sur la toile devient vite une nécessité interne.
La Tête de l’emploi réunit, comme beaucoup de travaux d’Agnès Thurnauer, des éléments austères et fermés avec des éléments légers et ouverts. Comme deux parenthèses, deux bandes d’adhésif noir et doré encadrent dans une forme en U le tableau sur les bords supérieur et inférieur. Elles se posent sur un champ composé de bandes verticales colorées dont les bords se diluent dans l’espace. L’impression ainsi transmise d’un espace pictural atmosphérique est contrecarrée par les quatre morceaux de papier rectangulaires que l’artiste colle directement sur la toile, car ils dirigent l’attention du spectateur sur la matérialité du tableau. De la même façon Agnès Thurnauer conçoit l’écriture ou le dessin qu’elle trace sur les morceaux de papier collé autant comme une activité intellectuelle que physique. « L’écriture peut constituer en un simple déplacement. […] il s’agit bien plus d’un jeu de position, au sens physique, spatial, tout autant qu’au sens où l’on « prend position » sur telle ou telle question que pose la réalité ».

Julia Garimorth