Daniel TREMBLAY

Né en France en 1950 – Décédé en 1985

Même si certains artistes de sa génération comme C. Beaugrand, A. Fleisher, P. Reynaud, … arpentent aussi la frontière qui sépare les objets des rêves qui peuvent en naître, le travail de Daniel Tremblay ne se rattache à aucune école. A l’exception de quelques œuvres proprement sculpturales, le plus représentatif du travail de cet artiste réside dans ce qu’il appelait ses « bas-reliefs ». Se présentant en effet comme des sculptures, ces œuvres relèvent également de la peinture par la composition des scènes qu’elles représentent et l’ambivalence de leur traitement ; ainsi le mur en constitue-t-il le support et le cadre.
Travaillant à ses débuts surtout à partir d’objets industriels de série détournés de leur fonction, Tremblay les choisit généralement neufs, en fonction de leur couleur et de leur matière. Il cherche ensuite à mettre en évidence leur potentiel suggestif en les juxtaposant selon une logique qui associe le glissement de forme au glissement de sens et procède d’une imagination soucieuse de préserver la part sensible du doute, en écartant toute prétention dogmatique ou généralisante. Il écrit à ce propos : « J’aimerais comme Francis Ponge, trouver dans les objets, les matériaux, des aspects qui montrent une autre vision des choses, plus poétique, c’est-à-dire par modification légère et sans en changer la fonction originelle, leur ouvrir d’autres dimensions émotionnelles »1. Progressivement, son intérêt se déplace de l’objet vers certains matériaux peu usités tels que l’ardoise ou le caoutchouc qui chacun à sa façon l’attirent par leur aspect mat et brillant et leur manière d’accrocher la lumière.
Au côté des objets, l’être humain est souvent représenté sous la forme d’une silhouette allongée, la nuit sous les étoiles. L’ambivalence de cette position provoque une inquiétude sourde qui ne va pourtant jamais jusqu’à l’angoisse ; l’innocence par laquelle est exprimée l’idée de la mort semble être une tentative pour l’apprivoiser ou la tourner en dérision. La netteté des formes dessinées ou peintes, Tremblay n’utilise le plus souvent qu’une ou deux couleurs, leur donne une apparence proche du découpage qui réduit au minimum leurs différences avec les éléments tridimensionnels. L’image mise en scène joue plastiquement sur l’ambiguïté de « l’apparence d’espace »; le relief devenu presque graphique, rend l’espace incertain et presque intangible en se mêlant à lui.
Le caractère épuré des formes et la laxité des associations opérées dans ses compositions ont permis à Tremblay de créer un langage qui laisse le champ ouvert à la pluralité des lectures.

Le blues des corbeaux est l’une des rares œuvres conservées de Tremblay qui réunisse ainsi ces trois composants privilégiés de son œuvre : une scène nocturne, une silhouette humaine, des matériaux inattendus par leur choix comme par leur emploi. « Ce qui est intéressant, disait-il, c’est la manière de raconter une vieille histoire. » Combinant le dessin, la peinture et l’objet, associant le plan et le volume comme il avait coutume de le faire, c’est justement une très vieille histoire que Tremblay raconte ici. Naturellement, l’œil se porte d’abord sur la partie haute : la silhouette d’un dormeur sous la lune, tracée en noir sur un gazon synthétique, y suggère une atmosphère paisible. Au sol, perchés sur des bottes, de grotesques mais inquiétants corbeaux de mauvaise augure ouvrent leur gueule béante. Plus haut, la lune­ faucille apparaît alors comme le symbole ancestral de mort et de renaissance.
Au moyen d’un vocabulaire restreint : peu d’éléments, peu de couleurs, sur un fil tendu entre le dérisoire des matériaux et la gravité de son propos, Tremblay mêle salutairement la sérénité et l’inquiétude.

Nicolas Chabrol

1- ln cat. Daniel Tremblay, Musée des Beaux-arts d’Angers, 1985.