Moo Chew WONG

Né en Malaisie en 1942 - Vit en France

Moo Chew Wong peint sur le motif. Moo Chew Wong a toujours peint sur le motif. Peindre peut sembler, aujourd’hui, un exercice douteux mais peindre un paysage sur le motif l’est encore plus. Cependant cette procédure révèle plus qu’un simple attachement à la tradition et Moo Chew Wong revivifie celle-ci car les raisons qui motivent ce projet n’ont rien à voir avec la réactivation d’une pratique passéiste et les contraintes qu’il se pose importent dans l’appréciation du projet.

Cette pratique se renouvelle, d’abord, dans sa thématique. Depuis 1989, Moo Chew Wong a delaissé les paysages bucoliques et ruraux pour se livrer à deux séries : les paysages urbains et les représentations d’œuvres d’art du vingtième siècle dans leurs espaces d’accrochage. La question qui se pose alors est qu’est-ce qui est picturalisable ? Car, s’il est aisé de penser la représentation d’un sous bois ou la copie d’une peinture ancienne, celle qui consiste à voir si un aéroport, un T.G.V., des motards, l’urinoir de Duchamp, un réfrigérateur sur un coffre-fort de Bertrand Lavier peuvent être transformés en peinture est plus délicate. La représentation est d’abord, affaire de signes et chaque élément nouveau à représenter nécessite l’invention de nouveaux signes. Ensuite, parce que la banalité de notre confrontation quotidienne à ces espaces urbains peut nous empêcher de saisir ce qui est remarquable, donc digne d’être représenté mais, aussi, ce qui, dans le réel, peut devenir, par la représentation, étranger. En cela, la pratique de Moo Chew Wong se rapproche de celle de Philippe Cognée. Sa pratique nécessite une interrogation nouvelle sur ce qui nous entoure et sur ce que nous tentons d’assimiler par le regard. Elle pose, également, la question de la modernité, dans sa définition baudelairienne : l’adaptation de l’intemporel de l’art à l’époque et à ses formes. C’est cette confrontation à la modernité qui pousse Moo Chew Wong à transformer en peinture des œuvres qui se veulent anti-picturales et à se livrer par cet acte à un retournement puisque les installations ou les sculptures deviennent, par la représentation de leur situation d’exposition, des paysages. Interrogation de l’artiste face à toutes les formes que l’art a prises au cours de ce siècle, certes, mais aussi renversement ironique d’une peinture jugée désuète digérant ce qui se propose être l’excellence moderniste.

Si cette pratique se renouvelle c’est, également, dans sa procédure. Wong exécute les peintures dans un temps défini et ne retouche aucune toile à l’atelier. Ce temps est celui d’une journée de travail pendant laquelle doivent être réalisés soit deux grands, soit dix petits formats. Pendant, cette séance, le cadrage ne change pas. Ce qui est représenté est ce qui se trouve, ou passe, dans un rectangle défini au préalable par l’artiste.

Le refus du repentir dit qu’il ne s’agit pas de faire une belle peinture, une peinture perfectible mais d’enregistrer un temps. L’enregistrement de ce temps ne peut être raté, ni réussi, ni même amélioré, tout au plus la représentation est achevée ou non dans la contrainte temporelle. Cette contrainte suppose une rapidité qui ne constitue pas un expressionnisme (comme chez De Kooning) mais une lutte contre le temps qui passe. On imagine aisément la tension qui augmente au fur et à mesure que la journée avance et que les toiles se doivent d’être finies. Le temps, et non l’artiste, décide de l’achèvement prochain de la peinture. La somme des peintures permet de mesurer les écarts d’une représentation entre un temps et un autre, de vérifier dans la même structure, ce que la perception modifie et ce qui la modifie. En cela, cette peinture établit une entreprise phénoménologique. En ne changeant pas le cadrage, Moo Chew Wong accepte tout ce qui peut advenir et bouleverser le champ visuel qu’il a défini – autre acceptation de l’aléatoire de l’enregistrement. Cette peinture refuse donc le pittoresque – le changement de cadrage si une chose ne convient pas – tout en cherchant à épuiser, par la répétition en plusieurs peintures, un mince rectangle dans le visible. Moo Chew Wong se livre, d’autre part, à un exercice mémoriel puisque si une chose est passée, il se doit de la représenter en son absence. C’est le cas de l’œuvre du FRAC où les avions qui décollent ne restent qu’un court instant offerts à sa vue.

Eric Suchère