Josèfa NTJAM
Née en France en 1992 - Vit à Saint-Etienne
Notre relation à l’Histoire est impure, d’autant plus impure lorsque sont considérés les événements majeurs survenus de notre vivant ou peu éloignés de nous. L’exemple le plus emblématique de la génération passée est sans doute celui de l’effondrement des tours jumelles. L’événement s’est gravé dans tous les esprits en tant que tel mais aussi dans son indéfectible union au lieu où nous étions lorsqu’il est survenu : chacun se souvient de ce qu’il faisait à ce moment précis et où il le faisait. Si, dans sa dimension historique, le 11-Septembre est intimement lié aux Twin Towers de Manhattan, l’événement se noue également aux millions de lieux où se trouvaient celles et ceux qui en ont reçu l’annonce brutale. Nous sommes ainsi liés à l’Histoire récente – celle qui nous concerne ou concerne nos proches – par une relation duale où se mêlent les faits qui nous sont extérieurs et les alluvions de nos souvenirs propres, formant en eau peu profonde l’écosystème temporel de nos existences. Nous sommes parcourus par les intensités croisées de nos vies présentes, de l’histoire passée de nos familles, de nos origines, de nos clans, de nos appartenances naturelles ou construites et, plus largement, des événements historiques qui fondent un faisceau complexe et vouent à l’échec toute tentative de compréhension claire et intelligible de nos vies.
Artiste, auteure, performeuse, Josèfa Ntjam utilise conjointement la photographie, la sculpture, le photomontage, la musique, dans une pratique nourrie par les flux croisés des sciences, de l’histoire et des mythes, de la philosophie, d’archives familiales, qu’elle croise, assemble, superpose. Ces compositions d’éléments hétérogènes accompagnent une réflexion visant à mettre en perspective les discours manichéens sur l’origine, l’identité, la race, et sur toute forme de classification hâtive et simplificatrice. La mythologie africaine, les rituels ancestraux, le symbolisme religieux et la science-fiction alimentent une iconographie dont le foisonnement produit des images impures aux sujets intriqués, où la réalité se livre dans son aspect composite.
A Crossing of Independences est un « croisement d’indépendances », un assemblage de sources politiques et personnelles baignées dans l’irisation cristalline d’un bain océanique. Un amalgame de coraux, de méduses et d’anémones laisse entrevoir dans ses anfractuosités les images intimes et les figures historiques. Dans ce bain corallien irisé par les diffractions cristallines de l’eau se côtoient les figures liées à la vie de Josèfa Ntjam et celles, historiques, qui ont fondé son identité et ont contribué à faire vibrer ses créations au timbre d’une conscience politique affirmée. Au milieu des coraux coupants, dont il ne faut pas oublier qu’ils sont de lointains cousins des méduses se nourrissant par la capture de proies, se dissimulent le père de l’artiste (en bas, à gauche), un groupe d’indépendantistes algériens (en bas, à droite), la figure de Thomas Sankara1 (au centre, à droite) et un groupe de Lascars, ces marins d’Inde et d’Asie du Sud-Est employés au XIXe siècle sur les navires européens pendant la colonisation (en haut, au centre-droit).
Jean-Charles Vergne
1– Officier militaire, révolutionnaire marxiste, tiers-mondiste qui devint le premier président du Burkina Faso en 1983 et mena une politique d’émancipation et de développement, de lutte contre la corruption et de libération des femmes. Il fut abattu en 1987 lors du coup d’État instigué par Blaise Compaoré.