LE PROMONTOIRE DU SONGE

Du 1 octobre 2022 au 15 janvier 2023

Avec
Etel Adnan – Dove Allouche -Mustapha Azeroual – Léa Belooussovitch – Mireille Blanc – Dirk Braeckman – Claire Chesnier – Raoul De Keyser – Vincent Dulom – Jean-Charles Eustache – Marina Gadonneix – Noémie Goudal – Lukas Hoffmann – Rémy Jacquier – Marc Lathuillière – Jérémy Liron – Sébastien Maloberti – Éric Manigaud – Francis Morandini – Jean-Luc Mylayne – Loïc-Yukito Nakamura – Patrick Neu – Eva Nielsen – Josèfa Ntjam – Anthony Plasse – Sylvain Roche – Hiroshi Sugito – Luc Tuymans – Robert Zandvliet – NASA

Dans Le Promontoire du songe, écrit en 1863, Victor Hugo raconte une expérience visuelle marquante. Il s’agit de l’observation de la surface de la Lune à travers un télescope, de la découverte de ses reliefs et du volcan appelé le Promontoire du songe. Très vite, il établit une comparaison entre la révélation du paysage lunaire et la façon dont se dévoilent au regard les œuvres d’art1. Le texte est remarquable dans sa manière de pointer la cécité initiale qui peut être la nôtre lorsque, pour la première fois, nous découvrons une œuvre, incrédules et incapables d’en mesurer la portée. Victor Hugo « ne voit rien », avant que n’advienne un véritable « voyage », une « irruption de l’aube dans un univers couvert d’obscurité » vécue comme une fulgurance.

Devant la Lune ou face aux œuvres, le regard découvre. Le terme est riche de sens car il indique la notion d’invention à l’égard d’une chose qui demeurait dissimulée, masquée, alors même que nous l’avions devant les yeux. Une œuvre se découvre, se trouve à découvert, soumise au jugement de celles et ceux qui la regardent. Ce qui n’est plus couvert se trouve, littéralement, à découvert, en situation de fragilité.

Souvent, comme ce fut le cas pour Victor Hugo, nous constatons notre incapacité à voir, soit parce que les œuvres ne se découvrent pas si aisément, soit parce que nous n’adoptons pas le bon point de vue, au bon moment. Il nous faut aller au-delà du désappointement initial. Il nous faut admettre notre aveuglement et accepter le temps nécessaire pour discerner, percevoir et faire le voyage auquel les œuvres nous invitent.

Pourtant, ce qui aurait dû déclencher ce voyage et nous élever à la hauteur de nos espérances se révèle parfois opaque, voire décevant. Ainsi, la Lune rêvée par Victor Hugo n’est pas celle que foula Neil Armstrong en 1969 devant des millions de téléspectateurs. Ce fut une Lune terriblement réelle, grise, poussiéreuse et terne, un satellite inerte et froid. L’auteure Nina Leger en a fait un livre, Stark2, dans lequel elle met en regard le texte de Victor Hugo avec le récit de l’aventure vécue par Neil Armstrong. La Lune, en 1969, fut ainsi vidée de son imaginaire, de sa puissance onirique, mise à découvert car les images qui furent mondialement diffusées ne montrèrent qu’un vaste désert couleur de cendre duquel étaient absents les fantasmes et les symboles que l’astre avait portés depuis des millénaires. Pourtant, nous continuons à regarder la Lune dans sa merveille et son mystère, nous continuons à y croire.

C’est cette expérience du regard que souhaitent mettre en lumière les œuvres d’une trentaine d’artistes de la collection du FRAC Auvergne. Elles dévoilent ce qui apparaît, ce qui nous échappe, mais aussi les relations particulières qui se nouent dans leurs dialogues. Alors, comme Victor Hugo, regardons. Regardons mieux.

Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition

1- Dans le texte de Victor Hugo, il s’agit des pièces de William Shakespeare
2- Nina Leger, Stark, éditions marcel, Paris, 2018.

Autres expositions cette même année

LE NOIR NE FAIT PAS LA NUIT

Halle aux Bleds - Saint-Flour

Le FRAC Auvergne poursuit sa collaboration avec la ville de Saint-Flour et présente sa nouvelle exposition « Le noir ne fait pas la nuit » réunissant une sélection d’artistes qui s’emparent de la nuit comme toile de fond de leurs œuvres et explorent ainsi tout le potentiel narratif et la singularité chromatique qui s’en dégagent. Car, contrairement au présupposé associant la nuit à la couleur des ténèbres, l’exposition témoigne de l’incroyable réservoir chromatique et lumineux que recèle l’étendue nocturne et dans lequel les artistes puisent pour donner naissance à des représentations évoluant entre réalité, mythe et fiction.

Dans cette perspective, l’image de la nuit semblable à une étendue totalement obscure ne tient plus. Il s’agit au contraire de porter son regard vers un nouvel espace propice aux apparitions et métamorphoses, comme le précise l’écrivain et peintre Henri Michaux : « Dès que je commence, dès que se trouvent mises sur la feuille de papier noir quelques couleurs, elle cesse d’être feuille et devient nuit. Les couleurs posées presque au hasard sont devenues apparitions… qui sortent de la nuit1 ». Le noir s’affirme non plus comme la qualité invariable de la nuit mais bien comme la condition nécessaire pour révéler couleurs et lumières. Le terme « révéler » est à entendre ici dans son sens photographique. Comme le révélateur en photographie, qui permet de faire émerger à la surface du papier les images photographiques latentes, le fond obscur de la nuit joue sensiblement le même rôle en faisant advenir des intensités lumineuses et des variations colorées, dissimulées le jour par le rayonnement trop intense du soleil.

Ainsi, les couleurs s’affirment pleinement au sein de cette exposition. Tour à tour, elles se font vaporeuses ou incandescentes, les bleus se répondent et se rejoignent pour former le nuancier – réel ou fantasmé – de la nuit, de la douceur du bleu horizon au velouté du bleu luzien chez Martial Raysse et Jean-Charles Eustache jusqu’à la force du bleu phtalo poussé à l’extrême chez Miryam Haddad. Partout, la lumière sourd depuis le fond des toiles ou de la feuille de papier et se module, des premières lueurs crépusculaires (Herbert Brandl) aux éclats fulgurants d’un feu d’artifice (Rémy Jacquier) en passant par le merveilleux scintillement d’une pluie d’étoiles (Marina Rheingantz, Gerald Petit). Le noir de l’immensité nocturne n’est jamais un noir mat, éteint. Il est, au contraire, parcouru de signes lumineux et de reflets chatoyants, comme le rappelle Anne-Laure Sacriste dans une œuvre qui emprunte son esthétique au sublime du romantisme noir du XIXe siècle.

Par sa puissance évocatrice, la nuit offre également les conditions favorables pour faire émerger une poétique qui oscille sans cesse entre fantasmagorie et symbolisme. Cet espace de temps singulier, durant lequel les choses de l’ombre surgissent, charrie en son sein nombre de visions métaphoriques liées à la mort et à l’oubli. Ainsi, le ciel de clair de lune chez Daniel Tremblay prend les allures d’un linceul tandis que la musique de The Caretaker emplit l’espace d’exposition avec des échos lointains comparables aux souvenirs incertains et parcellaires d’un rêve. En mettant en sommeil la raison, la nuit fait advenir un autre visible dans lequel les formes et les contours de notre monde, intérieur ou extérieur, se dissolvent, se métamorphosent, où tout ce qui est connu n’existe plus, favorisant un autre accès au sens.

Laure Forlay
Responsable du service des publics
Commissaire de l’exposition

Informations pratiques :
Halle aux Bleds
Place de la Halle
15100 Saint-Flour

Exposition ouverte tous les jours jusqu’au 18 septembre de 10h à 13h et de 15h à 18h30.
Sur rdv pour les  scolaires du 19 au 23 septembre (contact : 04 71 60 56 88)

Entrée gratuite.

Vernissage de l’exposition : jeudi 7 juillet à 18h

 

 

 

 

 

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DIRK BRAECKMAN - Évidences possibles

Les photographies de Dirk Braeckman sont des vibrations de tons délicatement contenus entre la noirceur absolue d’un poudroiement charbonneux et la blancheur irradiante d’éclats de lampes, de rayons solaires ou d’éblouissements de flashs pulsés. Des noirs les plus opaques aux blancs les plus stridents, la granulosité de la lumière neutralisée par le gris ou par l’extinction crépusculaire de la couleur fait reposer les détails du monde sur une surface d’une matité totale.

Sur un plan strictement technique, ces photographies sont photographiques, c’est indéniable, mais elles s’échappent pourtant du genre et s’imprègnent d’une intonation qui est celle de la peinture. Dirk Braeckman a d’abord été peintre, et cette pratique initiale fut déterminante dans la manière dont la photographie devint ensuite le catalyseur d’un regard de peintre. L’art de Dirk Braeckman ne produit pas d’images car les images n’ont aucune surface, contrairement à ses œuvres dont la granulation importe autant qu’importe la touche d’un peintre.

Une peinture est d’abord le récit d’un regard. Ce que nous voyons des œuvres de Dirk Braeckman n’est pas la prise de vue initiale mais un regard particulier sur le monde où les choses sont appréhendées dans une relation constante avec la remémoration. Ce qui est montré est ce qui a été vu puis, partiellement, voire totalement, oublié. L’acte photographique ne constitue qu’un premier geste de captation destiné à être archivé, parfois durant des années, avant qu’une image ne soit exhumée, comme on exhume un souvenir ancien. L’image est prise, laissée, puis reprise, redécouverte, parfois reprisée, rephotographiée, recadrée ou étalonnée selon une lumière différente – comme se refabriquent nos souvenirs lorsque nous les appelons à nous, dans une authenticité vacillante, voilée par le trouble grisâtre d’une mémoire incertaine.

Il ne s’agit donc pas de rendre compte d’un instant vécu, il ne s’agit pas de produire des instantanés, mais de produire le récit d’un regard, de restituer la façon dont le souvenir d’un lieu sédimente jusqu’à n’être plus un souvenir mais un tableau en soi, un monde refermé sur lui-même se livrant rétrospectivement dans son instabilité, dans son évanescence, dans le léger flottement d’une lumière grise dont les tons demeurent impossibles à fixer dans la mémoire.

 

Jean-Charles Vergne
Directeur du FRAC Auvergne
Commissaire de l’exposition

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