Dirk BRAECKMAN

Dirk Braeckman fut peintre avant d’être photographe. La surface de ses images est une peau dont la texture cendrée exprime une sensualité par de subtils dégradés de gris. Une lumière granuleuse fait reposer deux visages sur une surface d’une matité totale, déposés sur une aire où l’air ne circule qu’à peine. Ce sont des vibrations de tons délicatement contenus entre la noirceur absolue d’un poudroiement charbonneux et la blancheur discrète d’une aura pulsée depuis l’arrière de l’image. Il ne s’agit pas de rendre compte d’un instant vécu, il ne s’agit pas de produire un instantané, mais de donner à voir le récit d’un regard, de restituer la façon dont un souvenir a pu sédimenter jusqu’à n’être plus un souvenir mais un tableau en soi. C’est un monde refermé sur lui-même, se livrant dans une évanescence, dans le léger flottement d’une lumière dont les tons demeurent impossibles à fixer dans la mémoire. Ce tableau repose sur le déclin et sur l’altération d’une image – peut-être photographiée des années auparavant –, oubliée dans les archives que l’artiste accumule, avant d’être exhumée comme on exhume une mémoire si lointaine qu’elle en est incertaine. Le souvenir s’est oublié comme un navire dans les abysses jusqu’à ce que l’œuvre naisse de cet oubli et de son renflouement. C’est peut-être cela, faire un tableau. Ce que l’on voit, dans ce baiser voluptueux dont n’apparaît qu’à peine le ou la destinataire, concerne l’épaisseur du temps qui a passé, concerne la surface dépolie des souvenirs, dévoile l’exhibition des visages nimbés d’une sensualité affleurant l’érotisme et l’abandon, où le visage se refuse au regard.

Le rideau, son reflet à la surface d’une table dans ce que l’on imagine être une chambre d’hôtel, m’évoquent les merveilleuses peintures de Vilhelm Hammershøi dont les tons déjà passablement éteints auraient été passés par le poudroiement d’un filtre de noirs et de gris d’une granulosité et d’une subtilité infinies. Les photographies de Dirk Braeckman sont des corps et ces corps donnent à voir la singularité de leur peau. C’est une peau de dénudement et de pénombre érotique, une peau dont la texture cendrée instille à ses images une sensualité exprimée par d’infimes détails enceints par les dégradés pulvérulents de gris. L’érotisme s’est immiscé par les pores de cette image-derme : la croix de la fenêtre s’évaporant dans la blancheur du voilage, le rideau et ses motifs obliques entremêlés comme une chevelure, le reflet à peine visible épousant la bordure du guéridon et dévoilant à peine les dessous de l’étoffe dans une ondulation de robe légère. Mais, insistons sur ce point, l’image n’est pas l’œuvre et il faut avoir touché du regard la surface douce de cette photographie qui, seule, peut attester du tempérament de cette scène affleurant une lascivité délicieuse.

 

Jean-Charles Vergne