Anne-Sophie EMARD
Née en France en 1973 - Vit en France
Les deux œuvres d’Anne-Sophie Emard conservées par la collection du FRAC Auvergne ont été acquises à dix années d’écart et montrent la manière dont cette pratique s’est développée sur une décennie, trouvant de nouvelles pistes d’investigation qui, néanmoins, demeurent inscrites dans une œuvre d’une grande cohérence.
C’est à l’occasion d’une résidence de plusieurs mois réalisée au Canada qu’Anne-Sophie Emard a réalisé le triptyque Sanctuaire (Biodôme), intégré au sein d’une vaste série intitulée Sanctuary. Panorama fragmenté d’un paysage nordique le paysage photographié porte les ambiances romantiques des grands espaces préservés de la présence humaine, jusqu’à ce que quelques détails invalident l’impression première du spectateur. Un pan de mur, visible sur la partie centrale, l’étrange platitude de l’horizon aux couleurs délavées et dont la surface striée révèle l’artificialité, la béance noire qui sépare l’eau du ciel, la texture du guano qui recouvre la roche, dévoilent en effet l’artifice de ce paysage, pur simulacre d’une nature rêvée. Le lieu de prise de vue est un immense complexe touristique dans lequel plusieurs écosystèmes ont été reconstitués, afin de synthétiser les différents types de paysages, de faune et de flore de la planète. Ce que le panorama donne à voir, de manière fragmentée, est la reconstitution en carton-pâte d’un écosystème peuplé de vrais animaux. Nous sommes dans un lieu qui, à mi-chemin entre le parc d’attraction new-age, le zoo et le diorama, porte la destruction future de son modèle originel. Biodôme réactive également les utopies déchues de mondes parfaits, telles qu’elles ont pu être traitées au cinéma notamment (The Truman Show, L’Âge de Cristal, Soleil Vert…).
La seconde œuvre acquise par le FRAC Auvergne, intitulée Kate, est une photographie sous caisson lumineux. Elle permet de saisir combien l’art d’Anne-Sophie Emard s’est toujours situé aux croisées du cinéma, de la photographie et de la peinture, ce qui n’est pas très étonnant en définitive lorsqu’on sait de quelle manière ces genres se sont toujours alimentés mutuellement, croisant leurs héritages et échangeant leurs techniques. D’héritage et de technique, il en est beaucoup question dans les photographies, les boîtes lumineuses et les vidéos de cette artiste car ses œuvres puisent dans l’immense registre de l’image cinématographique, soit pour en utiliser le potentiel de narration, soit pour en extraire des détails qu’elle agence avec des prises de vues de paysages. A première vue, ses œuvres ne semblent pas dissimuler ce qu’elles sont. En effet, les images de cinéma se révèlent aisément dans leurs qualités chromatiques et leurs cadrages si caractéristiques, et il est assez facile pour l’amateur du 7ème art de reconnaître ici et là certaines grandes figures du cinéma américain, italien ou français. Kate Winslet (dans l’œuvre Kate), Monica Vitti, Julie Delpy, Faye Dunaway, Julianne Moore, Tippi Hedren et d’autres actrices apparaissent ainsi, en images parcellaires composées au milieu de paysages. Néanmoins, en raison de l’irruption de ces images imaginaires, ces paysages se voient contaminés d’une puissance fictionnelle, source de projections et d’étrangeté. Ainsi, l’étendue végétale de Kate, photographiée dans le Cantal, se transfigure en une lande desséchée que l’on pourrait imaginer située sur un autre continent. En langage cinématographique, on nomme « effet Koulechov » cette façon qu’ont les images de s’influencer mutuellement lorsqu’elles se trouvent mises en vis-à-vis. Cet effet, qui agit sur notre perception inconsciente des images, est l’une des techniques favorites d’Anne-Sophie Emard et ses œuvres propulsent de simples paysages vers leurs extrapolations les plus étonnantes, insufflent aux images ainsi composées une magie qui souligne la belle anagramme des deux mots, magie/image.
Jean-Charles Vergne